Chicago: une occupation d’usine sauve des emplois

Par Olrando Sepúlveda

Une occupation par des travailleuses et travailleurs d’une usine de Chicago le 23 février 2012 (voir sur ce site l’article en date du 25 février: «Des travailleurs occupent l’ancienne fabrique de fenêtres Republic»), qui a duré 12 heures, a permis de remporter un accord selon lequel l’emploi serait maintenu pour au moins trois mois et qu’ils pourraient rechercher d’autres voies permettant de produire et de faire fonctionner leur usine.

L’usine, située a nord-ouest de la ville, est l’ancienne fabrique Republic Windows & Doors qui a été occupée par des syndicalistes durant une semaine en décembre 2008 suite à l’annonce, sans avertissement, de la fermeture de l’usine par les propriétaires d’alors et leurs bailleurs de fonds, la Bank of America. Cette lutte a galvanisé le mouvement local et national des travailleuses et des travailleurs, entraînant une vague de solidarité qui a stupéfié les patrons et les banquiers. Après six jours d’occupation, la direction a cédé. Un nouveau propriétaire a promis de reprendre la production. La fabrique Republic est devenue Serious Energy.

Les mêmes travailleuses et travailleurs – qui avaient donné, il y a trois ans, du courage aux travailleurs et travailleuses de tout le pays – ont à nouveau appris jeudi après-midi, le 23 février, que le jour suivant serait leur dernier jour de travail. C’est alors qu’ils ont à nouveau mis en œuvre la tactique appliquée lors des grandes luttes des travailleurs des années 1930. Ils occupèrent leur usine.

Ils gagnèrent cette fois-ci un accord sauvant leurs emplois avant même que ne se lève l’aube du jour suivant. Aux environs de 2 heures du matin, sous des giboulées de neige qui rappelaient l’occupation de 2008, 60 membres de la section 1110 de l’United Electrical Workers (UE) qui étaient restés à l’intérieur de l’usine sont sortis fièrement, le poing dressé, après avoir obtenu un accord.

Armando Robles, président de la section 1110 du syndicat UE et qui a dirigé l’occupation de 2008, a déclaré au regroupement de personnes solidaires, réunies aussitôt qu’elles avaient pris connaissance de cette nouvelle «récupération» de l’usine: «Nous avons obtenu plus que nous l’espérions. Nous avons 90 jours de travail devant nous et nous pouvons essayer de trouver un repreneur. Nous avons aussi la possibilité de relancer la production sous notre propre bannière.» 

Au milieu des supporters réunis à l’extérieur de l’usine se trouvaient une dizaine de travailleuses et travailleurs qui avaient dû quitter l’usine après le début de l’occupation, la plupart pour des raisons familiales. La police les empêcha de retourner dans l’usine pour rejoindre leurs collègues.

Apolinar Cabrera, l’une des travailleurs bloqué à l’extérieur, qui travaille depuis 20 ans pour Republic Windows-Serious Energy, a décrit ainsi la manière dont l’occupation s’est déroulée: «Le syndicat et l’entreprise se sont réunis ce matin. Nous sentions que quelque chose n’allait pas. Ils sont revenus à l’usine après la réunion, à 14 heures, avec l’avocat du propriétaire. Ils nous ont dit que demain serait le dernier jour au cours duquel nous pourrions travailler. Cela signifiait que l’usine allait être fermée. C’est alors que le syndicat et les travailleurs ont décidé d’occuper à nouveau l’usine, faisant revivre les actions que nous avons mises en œuvre en décembre 2008. Voilà où nous en sommes. J’ai dû partir plus tôt, parce que je devais aller chercher mes enfants. C’est pourquoi je soutiens l’occupation depuis ici, de l’extérieur. Je suis en train de voir comment les gens arrivent pour manifester leur solidarité, comme c’était le cas en 2008. Cela nous donne plus de courage pour poursuivre notre combat.»

«Quitter l’usine équivalait à renoncer à nos revendications»

Bon nombre des plus de 100 personnes venues manifester leur solidarité à l’extérieur de l’usine avaient apporté de la nourriture avec eux. La police – dont on a entendu durant la soirée qu’il lui avait été indiqué que «les occupants ne tiendront pas longtemps cette fois-ci» – empêcha toutefois de remettre cette nourriture aux travailleurs qui occupaient. Les pressions de l’extérieur et de l’intérieur de l’usine se firent cependant croissantes. Autour de 20 heures, la police autorisa la fourniture de nourriture. Leah Fried, syndicaliste de l’UE, est sorti de l’usine pour tenir la foule au courant: «Ils sont en train de laisser entrer  la nourriture dans l’usine. C’est une bonne nouvelle parce que nous n’avons pas mangé depuis un moment. Nous sommes très reconnaissants pour tout ce soutien extraordinaire. Nous n’étions pas certains, pendant un moment, de pouvoir rester. Mais votre présence fait toute la différence. Disons à tous les habitants de Chicago que trop c’est trop, que nous devons nous battre pour nos emplois, que nous devons nous battre pour la justice.»  

Fried expliqua ainsi les enjeux de cette lutte aux journalistes réunis à l’extérieur: «Les intentions de l’entreprise étaient de fermer la fabrique immédiatement et de ne pas vendre l’emplacement. Notre seule demande est de nous laisser la chance de sauver ces emplois. Ce que nous voulons, c’est du temps. Du temps pour trouver un repreneur ou même pour  permettre aux travailleurs d’acheter eux-mêmes cette entreprise et de la placer sous la direction des travailleurs. Nous resterons ici aussi longtemps que nécessaire. Nous l’avons déjà fait une fois. Nous le ferons à nouveau.» 

Armando Robles, de l’intérieur de l’usine avec son téléphone portable, décrit ainsi la situation: «Entre 60 et 70 travailleurs se trouvent à l’intérieur de la fabrique, refusant de partir. La police a menacé au début de nous faire sortir. Mais, Occupy Chicago et les camarades de la localité, ainsi que la présence des médias, nous ont rendus forts.»  

Robles a déclaré que les représentants de l’entreprise se sont rendus à la réunion du matin avec le syndicat en agissant d’une façon très arrogante. La direction a finalement annoncé que la fabrique fermerait le jour suivant et que les travailleuses et travailleurs recevraient 60 jours de salaire, tel que prévu par le Worker Adjustment and Retraining Notification Act, mais échelonné toutes les deux semaines.

«Nous avons considéré que nous ne pouvions accepter cet accord», a déclaré Robles. «Parce qu’après-demain, si nous quittions l’usine, nous ne serions pas en mesure d’obtenir ce que nous pouvons obtenir aujourd’hui, en étant tous ensemble dans l’usine. Le but des travailleurs est de rouvrir et de faire fonctionner cette entreprise, avec ou sans patrons.»   

A l’extérieur Apolinar nous a parlé de sa déception face à une direction qui a été célébrée en 2009 par le vice-président des Etats-Unis, Joe Biden, et d’autres notoriétés fédérales et de l’Etat comme un exemple d’un employeur qui se préoccupait de maintenir les emplois: «Ils ont fait venir en 2009 le vice-président des Etats-Unis, le maire [d’alors, Richard M.] Daley ainsi que d’autres politiciens et hommes d’affaires pour leur montrer comment une usine qui avait été fermée juste quelques mois plutôt était à nouveau en pleine activité. Ils voulaient montrer au monde leurs intentions de sauver les emplois et de relancer les affaires et l’économie. Et ils font maintenant exactement la même chose que les anciens patrons, qui ne se préoccupent pas des personnes qui travaillent dans l’usine, qui y dépensent leur temps et leur sueur ainsi que tout ce qu’il faut pour la faire grandir comme entreprise. Au lieu de cela, ils vous disent qu’aujourd’hui c’est ton dernier jour, que c’est comme ça. Ils n’en ont rien à foutre.» 

«C’était illégal, mais nous l’avons fait»

Dans les premières heures du matin, après que les travailleuses et les travailleurs qui occupaient l’usine sont sortis, Robles nous a dit ce qui pourrait arriver: «Nous avons pour l’instant un accord selon lequel nous ne devons pas occuper l’usine. Ils nous ont dit que c’était illégal. Mais ce qu’ils ont essayé de faire de nous, à deux reprises, était aussi illégal. Nous savons qu’il est illégal d’occuper, mais les deux fois que nous l’avons fait, nous avons obtenu un succès. Donc, si nous devons le faire à nouveau, eh bien…» 

Apolinar songeait au même moment à ce que signifierait de maintenir la fabrique ouverte comme entreprise dirigée par les travailleuses et travailleurs: «Il y a deux ans, après l’occupation précédente, j’ai lu un livre sur l’Argentine intitulé Sin Patrón [1] qui parlait de comment les travailleuses et travailleurs d’usines fermées ont formé des coopératives pour maintenir la production. Je disais à un collègue que nous avons cette possibilité devant nous maintenant. Nous avons de toute évidence besoin de soutien – peut-être une banque ou quelqu’un qui nous appuie financièrement – mais nous avons l’équipement, nous avons la force de travail et nous avons la volonté de maintenir cette fabrique ouverte et de produire pour que même plus de gens reviennent travailler.»

Les membres de la section 1110 du syndicat UE sont pour l’heure fiers de ce qu’ils ont réalisé en défense de leurs emplois. Ils voient l’occupation d’usine comme quelque chose qui peut aider à inverser la tendance à la menace au chômage et aux attaques des employeurs sur leurs conditions de vie auxquelles font face les travailleuses et travailleurs. Ainsi que le souligne Armando Robles: «La seule manière par laquelle nous pourrons sauver les emplois est de reproduire cette occupation; ici aux Etats-Unis et partout autour du monde.»  (Traduction A l’Encontre)

[1] Sin Patrón: The Movement of Worker-occupied Factories in Argentina, par le collectif Lavaca, Ed. Haymarket Books, traduit de l’espagnol. Ouvrage préfacé par Naomi Klein et Avi Lewis, lesquels ont réalisé un documentaire sur le même sujet, intitulé The take, disponible en région francophone aux Ed. Montparnasse. (Réd. A l’Encontre).

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Article publié le 27 février 2012 sur le site SocialistWorker.org de l’ISO.

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