Venezuela. Maduro marche dans un champ de mines

Par Ociel Ali López (Caracas)

Avec la crise pétrolière et l’effondrement des transferts de fonds que les émigrants vénézuéliens envoient chez eux, le président Nicolás Maduro voit la terre trembler sous ses pieds. Les pillages et les protestations, provoqués par la hausse du prix des denrées alimentaires et la pénurie de carburant, remettent en cause le confinement.

Il n’y a pas que Trump et Bolsonaro qui sont en difficulté. Le gouvernement vénézuélien est entré sur un champ de mines qui pourrait exploser, sans aucune intervention étrangère. Ces derniers jours, des manifestations ont eu lieu dans différentes régions du pays: Upata (sud-est), Cumaná et Margarita (est), Maracaibo et Barquisimeto (ouest) et Valles del Tuy (centre-nord). L’augmentation du coût des denrées alimentaires semble être le principal facteur de mécontentement. Grâce aux réseaux sociaux, on peut observer les marches, les pillages, les confrontations avec la police et les militaires, les blessures par balle et autres situations tumultueuses. Tout cela malgré les restrictions de mouvement dues à la quarantaine, décrétées le 17 mars et en vigueur jusqu’au 12 mai.

Pas d’essence, pas d’envois de fonds

Fin mars, alors que la pandémie commençait à toucher les États-Unis, Donald Trump a décidé de radicaliser le régime de sanctions contre le Venezuela et de mettre à prix la tête de Maduro et de plusieurs de ses gouvernants. Washington a même mobilisé une flotte militaire près des côtes vénézuéliennes pour «lutter contre le trafic de drogue».

A peu près au même moment et de manière soudaine, la compagnie pétrolière russe Rosneft a quitté le Venezuela, contrainte par les sanctions américaines. Bien que la société ait simplement transféré ses actions à une autre société d’État russe, le plus grand problème pour Moscou et Caracas réside dans le prix international du brut: déjà à cette époque – et avant la chute historique des prix sous zéro la semaine dernière (pour le WTI- Texas Light Sweet) – la majorité du pétrole vénézuélien était vendu à peine 10 dollars le baril, en raison de la guerre des prix déclenchée par l’Arabie saoudite avant l’expansion mondiale du coronavirus.

La chute impressionnante des prix internationaux du pétrole accentue les problèmes de liquidités de l’État et pourrait ainsi provoquer un effondrement de la politique d’aide alimentaire sélective développée par le gouvernement, dont vivent les secteurs les plus démunis. Comme si cela ne suffisait pas, alors qu’à l’extérieur il y a un excédent de pétrole, à l’intérieur il y a un manque de carburant: ces dernières semaines, la pénurie d’essence a secoué Caracas et de vastes secteurs productifs sont au point mort. La production de carburant est à peine suffisante pour maintenir le peu de transports publics qui restent en service malgré le confinement. Pire encore, le Venezuela ne dispose pas d’un système ferroviaire adapté à ses besoins et est fortement dépendant des camions pour transporter la nourriture et les produits de base vers les villes.

À cela s’ajoute le problème des envois de fonds. Depuis 2016, date à laquelle l’émigration des Vénézuéliens de toutes les classes sociales a augmenté massivement, l’envoi d’argent des travailleurs à l’étranger a contribué à soulager la situation économique de nombreuses familles, en particulier dans les secteurs à faibles revenus ayant des parents au Pérou, au Chili, en Équateur et en Colombie. Selon des estimations telles que celle du consultant économique vénézuélien Ecoanalítica, l’année dernière, les envois de fonds ont constitué le principal revenu non pétrolier au Venezuela. Des économistes tels que Jesús Casique s’attendaient à ce que ce montant atteigne 6 milliards de dollars d’ici 2020 (voir «Stabilisation ou démantèlement», Brecha, 13 mars 2020). Avec le début des quarantaines et autres mécanismes sanitaires similaires dans la région, des milliers de migrant·e·s vénézuéliens qui faisaient partie du maillon le plus faible de la chaîne laborieuse ont perdu leur emploi et dans certains cas leur maison, ce qui diminue, voire annule, leur capacité à envoyer des fonds.

Le coronavirus comme écran et menace

Malgré ces facteurs, la pandémie a permis à Maduro de se présenter comme un garant de la gouvernance, contrairement à Juan Guaidó. Le président autoproclamé n’a jamais su faire face à la situation sanitaire et économique actuelle, contraint par ses promoteurs internationaux à simuler une présidence qu’il ne peut pas mener à bien faute d’appareil d’État. La place d’un leader de l’opposition qui créerait une stratégie pour rassembler les troubles et s’orienter vers la prise du pouvoir politique reste vide.

Maduro a donc joué à surexposer dans ses discours la menace posée par le coronavirus, profitant de l’alarme mondiale. Mais, après six semaines de confinement général et avec un peu plus de 300 cas et seulement dix décès confirmés et officiels, le coronavirus apparaît dans les rues comme un problème médiatique, alors que la faim est déjà réelle. Selon un rapport publié fin février par le Programme alimentaire mondial des Nations unies, 32,3% de la population vénézuélienne souffrait d’insécurité alimentaire à l’époque. Quelque 7,9 millions de personnes, soit plus de 2 millions, étaient en situation de grave insécurité alimentaire. Avec la quarantaine et l’effondrement du prix pétrole et des transferts de fonds, la situation s’aggrave de façon alarmante.

Il pourrait y avoir pire encore: après le retour massif des Vénézuéliens des épicentres de la pandémie dans la région (Brésil, Équateur et Pérou), le coronavirus pourrait échapper au contrôle des autorités juste au moment où le système de santé vénézuélien est en situation de crise structurelle. Bien que le gouvernement ait activé d’importants protocoles de confinement pour neutraliser cette menace, la longue frontière terrestre avec la Colombie et le Brésil, parsemée de passages illégaux, est un facteur de danger au moment même où les secteurs les plus défavorisés demandent un assouplissement des mesures et la «réouverture» de l’économie. Des mesures ont déjà commencé à être prises dans ce sens, comme l’autorisation officielle de vendredi dernier (28 avril) pour les enfants et les personnes âgées de sortir dans la rue une fois par semaine, et la tolérance informelle de certains secteurs de travail non essentiels.

La grande question

Après avoir joué tous ces petits chiffres, la question se pose de savoir combien de temps les secteurs sociaux les plus touchés par la crise tiendront le coup et si une flambée qui modifie l’équilibre des pouvoirs au Venezuela est possible. Cependant, les protestations et les pillages de ces derniers jours se sont déroulés de manière non coordonnée, sans grande planification, et il n’y a, pour l’instant, aucun acteur politique qui puisse tirer profit de la situation.

D’autre part, Maduro s’est déjà révélé être un maître dans le désamorçage des champs de mines. Tout d’abord, il convient de noter qu’il reçoit toujours une aide internationale, même si elle est temporaire, de la part d’alliés tels que l’Iran et la Russie pour faire face à la pénurie d’essence et même pour essayer de rouvrir certaines raffineries. Deuxièmement, l’éventuelle ouverture post-confinement des économies de l’Équateur, du Pérou, de la Colombie et du Brésil permettrait la réinsertion des migrants vénézuéliens et l’augmentation conséquente des transferts de fonds. Troisièmement, la hausse actuelle du prix de l’or, un nouveau revenu important pour le pays, favorise également le gouvernement.

Dans des circonstances similaires, telles que les crises de 2014 et 2017, la stratégie de Maduro pour rester au pouvoir a été de gagner du temps et de maintenir le soutien des forces armées et des forces de police. Dans ce dernier cas, l’augmentation des attaques internationales, des sanctions et de la criminalisation (maintenant en tant que trafiquants de drogue) contre ceux qui pourraient briser la chaîne de commandement joue en sa faveur.

Il est toutefois tout à fait possible que, dans les mois à venir, nous assistions à une augmentation des pillages et des protestations, à une multiplication des manifestations de malaise parmi les militaires et policiers, et même à de nouvelles sanctions américaines plus sévères. En tout état de cause, les insurrections de dimensions très réduites n’ont pas suffi à chasser le gouvernement. En fait, elles pourraient ne devenir, comme cela s’est produit en 2017, qu’un exutoire pour le malaise de la population. En écartant, de manière tardive, la possibilité de canaliser ces troubles afin de négocier une date pour de nouvelles élections dans un ou deux ans, l’opposition semble repousser un éventuel changement de régime. Si Maduro parvient à surmonter cette crise, il disposera d’une voie pour rester au pouvoir au moins jusqu’aux élections présidentielles de 2024. Bien sûr, la situation apporte toujours des surprises et les facteurs explosifs mentionnés peuvent être atteints par une étincelle suicidaire. (Article publié dans le quotidien uruguayen Brecha, le 30 avril 2020; traduction rédaction A l’Encontre)

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