Pérou. Grève et marches contre le gouvernement de Dina Boluarte dans les principales villes du pays

Lima, le 20 juillet 2023

Par Carlos Noriega (Lima)

La clameur «Dina assassin, démissionne» s’est à nouveau fait entendre dans les rues du pays. Ce mercredi 19 juillet, une grève nationale a été organisée pour exiger la démission de la présidente Dina Boluarte. Elle a été partiellement suivie à Lima, mais elle a été vigoureuse dans les régions andines Des dizaines de milliers de Péruviens et Péruviennes ont participé aux manifestations dans tout le pays. Quelque dix mille personnes se sont rassemblées à Lima et plusieurs milliers d’autres à Juliaca, Arequipa et Ayacucho. Des manifestations ont eu lieu dans les principales villes du pays. Elles ont été caractérisées par une forte présence policière dès l’aube. Les écoles et les universités ont été fermées dans plusieurs régions. Les places et les rues ont été envahies par des manifestant·e·s anti-gouvernementaux.

A Lima, des affrontements ont eu lieu lorsqu’un cordon de police a empêché les manifestant·e·s de se rendre au Congrès. Un groupe important a franchi la barrière policière et a avancé le long de l’avenue menant au Congrès. Ils ont atteint la place devant le parlement, qui était interdite d’accès et où il y avait une forte présence policière. Un grand nombre de policiers sont alors intervenus pour les tenir à l’écart de cette zone. La mobilisation a été interrompue. A l’heure où nous mettons sous presse, des affrontements ont lieu dans le centre de Lima entre la police, qui tire des gaz lacrymogènes, et des manifestant·e·s.

Le rejet

Le Congrès contrôlé par la droite – qui a lancé une offensive autoritaire pour contrôler les institutions démocratiques – est la cible, avec Dina Boluarte, de la colère populaire. Le taux de rejet de Boluarte est de 80% et celui du Congrès de 91%. Le gouvernement, qui a répondu aux manifestations par un discours menaçant qui criminalise la mobilisation populaire, a mobilisé 8000 policiers dans le centre de Lima et quelque 25 000 dans tout le pays. C’est le même discours qui a cautionné la répression brutale des manifestations qui ont eu lieu entre décembre et mars. Au cours de ces dernières 67 personnes ont trouvé la mort, 49 d’entre elles ayant été abattues par les forces de sécurité. Les principales revendications sont les suivantes: des élections anticipées pour remplacer la présidente Dina Boluarte et le Congrès discrédité, la justice pour les personnes tuées lors des manifestations précédentes et un référendum pour une Assemblée constituante.

Les mobilisations ont commencé avant midi 19 juillet dans plusieurs provinces. A Lima, la manifestation dans le centre de la capitale a commencé en milieu d’après-midi, mais dès le matin les manifestant·e·s se sont réunis dans différentes zones de la ville – entre autres les quartiers populaires entourant Lima – pour rejoindre le centre. Des milliers de personnes se sont rassemblées sur la place Dos de Mayo, lieu traditionnel des manifestations ouvrières. Elles ont ensuite parcouru les rues du centre. Des délégations de l’intérieur du pays sont arrivées à Lima pour se joindre à la manifestation dans la capitale. La police a dressé des barrages pour leur interdire l’accès à la ville. «Des élections générales maintenant», pouvait-on lire sur une grande banderole. En se déplaçant dans les rues du centre, sous une forte présence policière, les manifestant·e·s ont scandé: «Les voici, ce sont eux qui se battront toujours.» Une femme a brandi une banderole portant l’inscription «Ce n’est plus la démocratie. Dina démission». A proximité, une autre pancarte indiquait «Dans une démocratie, on ne tue pas ceux qui protestent». Des drapeaux péruviens ont été brandis, certains avec du noir à la place du rouge en signe de deuil, ainsi que le wiphala [drapeau aux sept couleurs utilisé par les diverses communautés des Andes].

Répression

Dans la ville andine de Huancavelica, la répression a éclaté peu après midi, alors que les manifestant·e·s s’apprêtaient à entamer un rassemblement sur la Plaza de Armas et que la police lançait des grenades lacrymogènes pour les disperser. Les villageois ont répondu en criant «assassins, assassins». Ils ont tenté de mettre le feu à la porte de la préfecture et ont jeté des pierres sur les fenêtres. La police a finalement évacué la place. Mais avant que les manifestant·e·s l’ait atteinte résonnait le chant «Dina asesina, el pueblo te repudia, cuantos muertos más quieres para que renuncies» (Dina assassin, le peuple te répudie, combien de morts veux-tu encore pour que tu démissionnes). Il est  devenu l’hymne des manifestations antigouvernementales

A Juliaca, ville de l’altiplano de Puno, où la grève a été très suivie, les proches des victimes de la répression ont occupé le devant de la scène durant les manifestations de protestation. Le 9 janvier, 18 personnes ont été tuées dans cette ville lorsque la police a tiré sur celles et ceux qui s’étaient mobilisées ce jour-là pour exiger la démission de Dina Boluarte. Les portraits des victimes ont été placés sur la Plaza de Armas. «Nous demandons justice», ont scandé les gens. Devant les caméras d’une chaîne Internet, la mère d’Elmer Huanca, l’un des jeunes hommes abattus à Juliaca par les forces de sécurité, déclarait en pleurant: «Nous voulons la justice, pour nous il n’y a pas de justice, cela nous fait mal. Pour la justice, nous marchons en pleurant. Avec beaucoup de sacrifices, j’ai élevé mon fils et ils l’ont tué, ils l’ont abattu, il avait seize ans.» Comme les autres parents, elle portait le portrait de son fils. D’autres mères ont également manifesté sur la place avec la même demande de justice, la même indignation contre Dina Boluarte, les mêmes pleurs. L’enquête du ministère public sur les morts causées par la répression n’avance pas, c’est l’impunité qui règne.

A Ayacucho, autre région andine, où la répression a fait dix morts en décembre, la grève était également générale. Elle s’est répétée dans d’autres régions. A Cajamarca, la région d’origine de l’ancien président Pedro Castillo, aujourd’hui emprisonné, la grève s’est développée dans les universités. Certaines routes ont été bloquées. La police a utilisé des gaz lacrymogènes pour les dégager. A l’étranger, des sit-in ont été organisés dans différentes villes, notamment à Buenos Aires, où des personnes se sont rassemblées devant le consulat péruvien et l’Obélisque [monument historique construit dans les années 1930 commémorant la fondation de la ville].

La veille de la manifestation, Dina Boluarte a diffusé un message dans lequel, conformément à la ligne répressive de son régime, elle a qualifié les manifestations contre son gouvernement de «menace pour la démocratie». Elle s’en est de nouveau prise aux manifestant·e·s, les accusant d’être «violents». Le discours officiel a ressuscité le groupe armé vaincu Sentier lumineux pour le coupler à la manifestation, dans le but de la discréditer, de créer la peur et de justifier la répression. Contradictoire, la présidente a appelé au dialogue avec ceux qui réclament sa démission, mais a déclaré que leurs demandes ne pouvaient être satisfaites parce qu’elles étaient «politiques». Elle a affirmé que le gouvernement respectait le droit de manifester, mais toutefois elle le criminalise. Détachée de la réalité, elle a déclaré qu’elle ne comprenait pas pourquoi ils/elles protestaient contre elle. Elle a affirmé que les revendications des manifestants traduisaient un sentiment minoritaire, ignorant le fait que 82% des personnes interrogées sont favorables à son départ et à la tenue d’élections anticipées.

En réponse aux affirmations du gouvernement selon lesquelles la manifestation est inconstitutionnelle, la Conférence épiscopale péruvienne l’a qualifiée de juste et constitutionnelle. Dans un communiqué, elle a déclaré que «le gouvernement a l’impérieuse obligation d’écouter le peuple péruvien et de ne pas rester insensible à ses besoins urgents et à ses justes revendications». (Article publié sur le site du quotidien argentin Pagina/12 le 20 juillet 2023; traduction rédaction A l’Encontre)

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