Nicaragua. Le chef de l’armée sanctionné par les Etats-Unis et le message de la Conférence épiscopale

Daniel Ortega et le général Julio César Avilés

Par Oscar-René Vargas

1.- Le 22 mai 2020, le département du Trésor des Etats-Unis sanctionne le chef de l’armée sandiniste, le général Julio César Avilés, parce qu’il «est politiquement aligné sur le président Ortega, et a refusé d’ordonner le démantèlement des forces paramilitaires ou “parapolitiques” pendant et après les soulèvements politiques qui ont commencé le 18 avril 2018».

2.- La déclaration du département du Trésor ajoute également que «l’armée a fourni des armes à la “police parallèle” qui a perpétré des actes de violence contre le peuple nicaraguayen, entraînant plus de 300 morts, des actes de violence importants et des violations des droits de l’homme contre les personnes participant aux manifestations.»

3.- Que fera l’armée? L’armée nicaraguayenne sera-t-elle aux côtés de son chef, à sa tête depuis 2010: Julio César Avilés? Ou protégera-t-elle ses investissements de millions de dollars aux États-Unis? Le général Avilés s’est déclaré «soldat de la patrie» lorsqu’il a rompu avec la tradition de succession à la tête de l’armée, un poste qui revenait au général à la retraite Óscar Balladares et, en 2020, à un autre général. Il a parié sur la continuité et s’est inscrit dans le projet politique de Daniel Ortega de rester au pouvoir à tout prix. Il paie les conséquences de ses erreurs de calcul et de ses ambitions.

4.- Le Conseil militaire de l’armée nicaraguayenne – composé de généraux, de colonels et de lieutenants-colonels pour un total de 39 membres – devrait analyser dès maintenant les conséquences de cette sanction et décider de la voie que devrait suivre ce «navire»: soit avec à sa tête son capitaine sanctionné; soit avec un haut commandement militaire renouvelé, ce qui aurait dû se faire en 2015.

5.- En 40 ans d’histoire, d’abord sous le nom de l’Armée populaire sandiniste et, depuis 1995, sous celui de l’Armée nicaraguayenne, Avilés est le premier chef militaire actif à être placé sur la liste noire des États-Unis, ce qui est inédit.

6.- Le rôle joué par l’armée nicaraguayenne dans le contexte de la crise sociopolitique qui a éclaté en avril 2018 a fini par faire placer un lourd tribut sur les épaules du général Avilés, surtout pour ne pas avoir démantelé les civils armés ou les paramilitaires associés au gouvernement Ortega-Murillo. Selon une liste qui circule, ils étaient dirigés par des militaires à la retraite, c’est-à-dire d’anciens camarades d’Avilés.

7.- Le général Avilés, en prenant des mesures qui s’inscrivent dans le projet politique et autoritaire d’Ortega, écrivait la chronique d’une mort annoncée. Sa dernière erreur, entre autres, a été d’avoir accepté un nouveau mandat, le troisième d’affilée, en février 2020. Un vent de changement souffle sur l’armée.

8.- La crise sanitaire liée aux coronavirus s’est comportée comme un ouragan. Rassembler de manière explosive toutes les crises existantes. De ce point de vue, la sanction américaine, prie le 22 mai 2020, contre le chef de l’armée ne peut pas être analysée isolément.

9.- Analyser cette sanction contre le général Julio César Avilés séparément des cinq crises que connaît le Nicaragua (sanitaire, économique, régionale, internationale et sociopolitique) consisterait à fermer les yeux sur ce qui se passe et se développe dans le pays. Le Conseil militaire de l’armée ne peut reporter l’analyse la sanction prise par les Etats-Unis, et encore moins ses répercussions ainsi que les réactions des pouvoirs réels, au même titre que les décisions politiques qui seront prises suite aux récentes sanctions.

10.- Cette sanction intervient lorsque le régime n’a pas été en mesure de contrôler ou de surmonter les effets et les conséquences des cinq crises mentionnées, ce qui a pour conséquence de raccourcir les délais politiques accordés à tous les pouvoirs réels pour trouver une issue au régime Ortega-Murillo.

11.- Au cours des deux dernières années, plusieurs tentatives ont été faites pour trouver une issue à la crise sociopolitique par la voie qu’ils empruntent actuellement: «la voie douce» des élections anticipées ou des élections en 2021. Le but consistait à offrir un calendrier politique au régime Ortega-Murillo. Toutefois, l’immobilisme politique, l’arrogance et l’entêtement du régime se sont imposés. Aucune proposition ne fut acceptée.

12.- Tout est resté en place, rien n’a changé. Le pays a glissé dans des tourbillons et des déséquilibres macroéconomiques qui ont propulsé une augmentation du chômage, des inégalités et de la pauvreté, plongeant le pays dans la combinaison simultanée des cinq crises.

13.- A ce stade, le typhon de la sanction visant le chef de l’armée approfondit la crise du régime et modifie le scénario politique national, puisque tous les pouvoirs réels doivent adapter leurs tactiques au nouveau scénario géopolitique et géo-économique qui pourrait accélérer la chute du régime Ortega-Murillo.

14.- Les forces politiques d’opposition se doivent d’envisager leur unification en raison de la précipitation des rythmes politiques imposé par le dilemme auquel fait face l’armée. Elles ne peuvent pas choisir la voie de la facilité: négocier un pacte avec la dictature. Car cela serait une erreur stratégique grossière impliquant de ne pas prendre en compte la signification politique de la sanction contre le chef de l’armée qui affaiblit encore plus le régime déjà usé et submergé par les cinq crises.

15.- Quarante-huit heures après l’annonce de la sanction contre le chef de l’armée et, indirectement, contre régime Ortega-Murillo, malgré son discours anti-impérialiste, Ortega – lui qui subit la dureté et la bêtise de la politique nord-américaine pour la région d’Amérique centrale et des Caraïbes – n’a pas dit un mot.

16.- Avec cette sanction, la pression américaine contre le régime Ortega-Murillo s’intensifie. Il doit être clair que les mesures prises contre Julio César Avilés – un allié du régime – sont un coup direct porté au régime d’Ortega-Murillo. En même temps, elles obligent l’institution militaire – par le biais du Conseil militaire – à prendre une décision stratégique: soit adopter une plus grande autonomie relative face à la politique du régime afin de préserver l’institution, soit couler avec le régime, comme ce fut le cas avec la Garde nationale lors de la chute de Somoza en 1979.

17.- L’armée vit des heures sombres et stratégiques concernant sa place, défigurée suite à son alliance avec le régime. Dans ces conditions, l’institution armée doit adopter une nouvelle stratégie dans ses relations avec l’establishment politique du régime afin d’éviter son effondrement, de préserver ses actifs économiques et financiers – estimés à environ 500 millions de dollars – et de les rendre présentables à la population, dans le but de survivre au régime Ortega-Murillo.

18.- Au moment où le régime est dans la situation la plus fragile depuis avril 2018, les évêques de la Conférence épiscopale du Nicaragua (CEN) ont publié un message, deux jours après l’annonce de la sanction, dans lequel ils affirment ce qui suit: «Nous exhortons les dirigeants et tous les secteurs du pays à s’ouvrir aux alliances et aux consensus afin de rechercher et de trouver des alternatives et des solutions communes qui permettront d’éviter une plus grande catastrophe humaine.» En d’autres termes, ils se déclarent en faveur d’un nouveau dialogue avec la dictature sans demander le respect des accords précédents ni des réparations ou la justice. Le message de la CNE appelle-t-il à une pause pour éviter la chute d’Ortega-Murillo?

19.- L’appel des évêques de la CNE tombe à point donné pour la dictature afin de prolonger l’espace politique qui devrait lui permettre de diminuer l’extrême faiblesse dans laquelle elle se trouve. C’est une grave erreur de la part des évêques de donner de l’oxygène à la dictature.

20.- Les évêques de la CNE ne «comprennent» pas qu’Ortega-Murillo veulent un affaiblissement, une flexibilité politique des mouvements sociaux, sans devoir payer aucun coût politique, afin d’établir un pacte avec les forces politiques traditionnelles. Avec leur message, les évêques ont montré qu’ils ne saisissaient pas le changement de la scène politique suite à la sanction contre le chef de l’armée, ni ses répercussions.

21.- Cette idée de «trouver des alternatives et des solutions communes» et de «s’ouvrir aux alliances et au consensus» avec les dirigeants constitue en réalité une solution miraculeuse pour le dictateur.

22.-Pendant ce temps, le régime Ortega-Murillo continue de plonger le pays dans la barbarie avec l’action des paramilitaires et avec sa politique criminelle de ne prendre aucune précaution contre le coronavirus. La police et les paramilitaires ont continué: à arrêter les citoyens/citoyennes qui avaient participé aux manifestations; à maintenir les prisonniers politiques en prison; à réprimer les citoyens qui voulaient connaître l’état de santé de leurs proches.

23.- Ortega est un homme politique traditionnel en tant que tel; il est un renard et les renards ont une nature prévisible, si vous le laissez dans un poulailler. Ce fut le cas lors du premier dialogue (mai 2018) convoqué par les évêques de la CNE. Dans un tel cas de figure, le sang et les plumes voleront partout. Il est possible qu’Ortega, étant politiquement sur la défensive, accepte l’appel du CEN pour tenter de diviser davantage l’opposition officielle et de contrecarrer les effets négatifs de la sanction contre Julio César Avilés.

24.- Les évêques de la CNE oublient qu’un homme politique traditionnel n’a pas besoin d’avoir des idées originales, mais plutôt de savoir comment concentrer le pouvoir et se débarrasser des situations politiques difficiles. Seul un «homme d’État» effectif peut avoir des idées à mettre en avant, préciser une vision de l’avenir et comprendre ce qu’il faudrait faire pour la réaliser. Ortega-Murillo n’ont pas ce genre d’idées.

25.- En acceptant un troisième dialogue, Ortega cherchera à éviter de nouvelles sanctions américaines et européennes et à contrer le processus d’implosion du régime en développement et à échapper à la «surprise d’octobre» – celle consistant à être placé le 1er octobre sur la liste noir concernant le blanchiment d’argent – qui peut être mise en œuvre par le gouvernement des Etats-Unis.

26.- Le message des évêques donne l’impression qu’ils partent de la même «géométrie politique», c’est-à-dire du même schéma de politique traditionnelle, qui favorise Ortega. La stratégie d’Ortega-Murillo consiste à prolonger les temps politiques et à retarder toute concession. Toute concession qu’Ortega sera contraint de faire obéira à une idée unique et fondamentale: comment préserver le pouvoir à tout prix. (Article envoyé du Costa Rica par l’auteur, le 25 mai 2020; traduction rédaction A l’Encontre)

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