Mexique. Un nouveau défi pour Peña Nieto: les mobilisations des enseignants

MexiquePar Manuel Aguilar Mora

La population de l’Etat d’Oaxaca, comme celui du Chiapas, est dans son écrasante majorité d’origine indigène. Le mardi 21 juillet, son centre a été envahi par plus de 10’000 policiers et militaires envoyés par le président Peña Nieto pour soutenir le gouverneur Gabino Cué (de l’Etat d’Oaxaca) et le secrétaire de l’Education publique depuis 2012 Emilio Chuayffet. Ces personnages avaient été les principaux protagonistes de la poursuite de l’application des procédures de la Loi générale du service professionnel de l’enseignement, une des trois lois du paquet de la «réforme éducative» du «Pacte pour le Mexique» approuvée par le Congrès en septembre 2013.

Un des objectifs centraux de cette «réforme» est d’écraser le principal foyer d’opposition de masse des travailleurs – un courant de la Coordination nationale des travailleurs de l’Education (CNTE) – à la politique ultra-néolibérale de l’actuel gouvernement.

C’est celle des «réformes structurelles» approuvées au cours du mandat de l’actuel gouvernement qui a été la plus combattue et répudiée par de vastes secteurs des travailleurs de l’éducation. Des centaines de milliers d’enseignants sont descendus dans les rues dans tout le pays pour lutter pour leurs postes de travail, pour la défense de l’éducation publique et pour son organisation démocratique et indépendante comme la revendique la CNTE.

Au cours des jours suivants, les gouvernements de l’Etat et fédéral se sont acharnés à porter des coups contre le principal bastion de la CNTE au sein du Syndicat national des travailleurs de l’éducation (SNTE) qui constituent la majorité des 83’000 membres de la 22e section d’Oaxaca. La vaste mobilisation nationale d’enseignants, dont ceux d’Oaxaca constituent le secteur d’avant-garde, est parvenue jusqu’à maintenant à empêcher que le gouvernement de Peña Nieto n’atteigne complètement son objectif, puisque leur action a peu à peu réveillé et unifié l’énorme corps de plus de 1,5 million de membres qui composent le SNTE.

Depuis le 21 juillet 2015, la contre-offensive gouvernementale a utilisé toutes ses ressources pour tenter de liquider l’obstacle principal que représente la CNTE pour le régime. Elle a procédé au démantèlement de l’Institut étatique de l’éducation publique d’Oaxaca (LEEPO), créé pour organiser et planifier l’éducation dans l’Etat avec la participation gouvernementale et syndicale. C’est ainsi que les comptes bancaires du syndicat et de plusieurs dirigeants ont été gelés et que le secrétaire général Rubén Nuñez Ginez et une douzaine de ses camarades ont été menacés d’une possible détention; le tout accompagné d’une furieuse campagne menée dans une grande partie des médias pour les discréditer.

D’importantes mobilisations des enseignants n’ont cessé à se dérouler depuis 2013 pour défendre leurs places de travail. On estime que plus de la moitié des postes des membres du SNTE sont menacés par l’«évaluation» concoctée par l’Institut national de l’évaluation éducative, une entité technocratique approuvée dans le cadre des «réformes» patronnées par le OCDE pour obtenir que le Mexique remonte depuis la pénultième place qu’elle occupe en ce qui concerne la qualité de l’éducation dans le classement des pays membres de l’institution de référence. Le contrôle de l’énorme bureaucratie sur le SNTE s’avère être insuffisant, malgré la mesure spectaculaire avec laquelle Peña Nieto a inauguré son gouvernement en arrêtant et en emprisonnant la très corrompue dirigeante syndicale Elba Esther Gordillo, qui s’était enkystée à la tête de la hiérarchie bureaucratique durant plus de vingt ans. Mais le système bureaucratique lui-même n’a pas du tout bougé, et cela constitue un énorme handicap pour le régime du PRI.

Depuis 2013, la mobilisation massive des enseignants contre la «réforme éducative» était devenue évidente. En 2014, la CNTE a eu un rôle extrêmement important dans les vastes manifestations qui se sont déroulées suite aux événements de la Nuit de Iguala (septembre 2014). Les étudiants normaliens de Ayotzinapa et des autres écoles normales ont toujours constitué un des contingents les plus combatifs parmi les alliés de la CNTE, depuis Sonora et de Chiuhahua jusqu’aux Etats de Guerrerro et de Michoacan. Cette année, les mobilisations des enseignants se sont étendues au-delà des Etats du Sud où la CNTE a ses principaux bastions: Oaxaca, Michoacan, Chiapas et Guerrero et des enseignants des Etats du nord du pays ont commencé à se mobiliser. C’est ainsi qu’il y a eu des manifestations significatives d’enseignants dans Baja California, Sonora, Chihuahua, Nuevo Leon et au centre des Etats de Jalisco, Veracruz et même dans la lointaine Péninsule du Yucatan, qui avait été relativement tranquille depuis des décennies. Les mobilisations ont également et surtout touché l’Etat de Mexico, le plus populeux, où, outre les secteurs de la CNTE, le Syndicat des enseignants au service de l’Etat de Mexico qui compte 100’000 membres, commence à bouger.

Il n’est pas difficile de concevoir que si cette situation de défi devait s’approfondir, elle commencerait à toucher aussi les syndicats de professeurs des universités publiques, en particulier le syndicat des travailleurs de l’Université nationale autonome (STUNAM), dont les membres connaissent également des conditions similaires. C’est justement en cette fin de semaine (25-26 juillet) qu’a lieu l’assemblée générale de la CNTE qui va élaborer les plans des prochaines actions. En août et septembre, ces dernières vont coïncider avec celles qui se préparent en septembre pour marquer le premier anniversaire du crime d’Etat contre les 43 normaliens disparus de Ayotzinapa.

Les critiques contre la «réforme éducative» officielle sont accablantes. Comment peut-on réaliser une «réforme éducative» sans la participation centrale des enseignants? Les fonctionnaires et les technocrates du gouvernement semblent en effet penser que cette réforme se fera sans la participation des enseignants des institutions où elle sera appliquée. En se référant au nouveau LEEPO, le gouverneur de Oaxaca, Gabino Cué l’a d’ailleurs dit explicitement: «Il n’y aura pas d’enseignants dans l’administration du nouvel Institut».

Comment réaliser une «réforme éducative» dans les conditions structurelles et physiques déplorables dans lesquelles se trouvent les écoles publiques? 23’000 d’entre elles manquent d’installations sanitaires, 20’000 n’ont pas de lumière électrique, soit respectivement 11,21% et 9,7% du total. Et ce n’est pas par hasard que c’est à Oaxaca que ces conditions sont les pires: 8 sur 10 écoles n’ont pas de système d’assainissement et 43% n’ont pas de lumière électrique.

La signification politique de ces événements a été immédiatement comprise par les secteurs de tout l’éventail politique. Andrés Manuel Lopez Obrador a profité de l’occasion pour amener de l’eau à son moulin électoraliste, autrement dit à sa candidature à la présidence en 2018. Il a déjà proposé aux dirigeants de la CNTE d’établir une alliance avec son parti MORENA (Mouvement de régénération nationale). Mais ceux-ci lui ont immédiatement répondu par la négative.

De fait, depuis sa fondation en 1989, la contradiction politique qui a toujours été présente dans les actions de la CNTE a été une tactique tacite – jamais explicite mais non moins réelle – de convergence au niveau politique (et en particulier électoral) d’importants secteurs de sa direction avec le PRD (Parti de la révolution démocratique), également fondé en 1989, sous la houlette de Cauhtémoc Cardenas (parti membre de l’Internationale «socialiste»).

Les événements bouleversants de l’année dernière et leurs conséquences, en particulier l’effondrement du PRD, posent pleinement aux secteurs les plus avancés de la CNTE et plus généralement à tout le syndicalisme indépendant mexicain, la question de la représentation politique des travailleurs, une question qui n’a pas été résolue depuis des décennies. Jusqu’à ce jour, il n’y a pas eu au Mexique de mouvement massif des travailleurs qui ait réussi à accéder au niveau de conscience et d’organisation lui permettant de surgir avec une identité indépendante de la tutelle de la bourgeoisie, de ses partis et de son Etat. Mais les événements qui se déroulent actuellement et qui vont se poursuivre au cours de ces prochains mois constituent un élément vers la résolution de ce problème historique qui a, en grande partie, défini l’histoire du pays au XXe siècle depuis la Révolution mexicaine. Les combats actuels, dans lesquels la CNTE joue un rôle central, laissent penser qu’ils pourraient donner naissance à la conviction que la représentation politique indépendante, démocratique et organisée par les travailleurs du Mexique est nécessaire et plus urgente que jamais. (Traduction A l’Encontre; texte envoyé par l’auteur datant du 26 juillet 2015. Manuel Aguilar est historien et militant de la LUS)

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