Mexique. En attendant AMLO (II)

Peña Nieto

Par Manuel Aguilar Mora

Les groupes les plus enracinés dans leurs privilèges, habitués à opérer en toute impunité sous les bannières des deux partis hégémoniques traditionnels de l’oligarchie, ne restent pas les bras croisés. Quelles sont les alternatives possibles qu’ils peuvent mettre en place pour éviter la victoire possible d’AMLO [voir la première partie de cet article publié sur ce site le 14 mars 2018]?

Les alternatives

Il existe déjà des éléments qui peuvent nous donner une idée du scénario qui se développera dans la campagne présidentielle qui débutera officiellement en mars. L’alternative qui semble la plus susceptible de représenter un véritable défi au torrent AMLO est dirigée par le multimillionnaire Ricardo Anaya, candidat d’un front PAN avec le PRD. La capacité de ce leader, ancien président du PAN, a été démontrée dans sa manœuvre réussie qui consistait à forger un front avec le PRD, recouvrant ainsi le PAN d’un maquillage qui cache sa nature traditionnelle de droite. Du côté du PRD, son alliance avec le PAN marque le point culminant de la dérive droitière de nombreux secteurs «progressistes» qui ont fondé et soutenu ce parti depuis 1988: anciens PRI, staliniens, nationalistes qui sont restés sur cette voie ou se sont droitisés complètement. Le front, constitué essentiellement par le PAN et le PRD, accompagné par le Mouvement des citoyens, regroupe les secteurs néolibéraux les moins engagés dans le cours désastreux de Peña Nieto. Bien qu’ils en aient été les complices au début du mandat. En fait, et c’est là une de leurs faiblesses, le PAN et le PRD ont dû payer la formation du front sous la forme de ruptures: le PAN avec l’adhésion au PRI d’un secteur proche de l’ancien président Felipe Calderon, et la sortie du PAN de sa femme [militante de relief durant 33 ans] pour rendre sa campagne «indépendante»; le PRD a également vu ses rangs se réduire avec les courants centrifuges qui se sont dirigés vers Morena.

Comme Anaya s’est déjà positionné comme le concurrent le plus fort d’AMLO, laissant Meade en troisième position loin derrière, l’offensive contre lui a été déclenchée avec le cynisme le plus grossier qui caractérise les «panistes». Exposant les transactions immobilières peu transparentes d’Anaya, révélées par des personnages liés au PRI, le bureau du procureur général fédéral a immédiatement trouvé l’un de ses principaux complices qui se trouvait aux Etats-Unis. Il l’a menacé d’écraser sa campagne sous une montagne d’accusations et de possibles crimes. Or, c’est le même bureau du procureur général qui a mis des mois à localiser et à arrêter les anciens gouverneurs voyous qui ont été des voleurs et des assassins priistes, par exemple ceux de Veracruz [plus grande ville de l’Etat du même nom] et de Quintana Roo [Etat du sud dans la péninsule du Yucatan]. Et ce dernier n’a pas encore réussi à obtenir l’extradition des Etats-Unis de l’archi-criminel et ancien gouverneur du PRI de Chihuahua [Etat du nord], César Duarte.

Pas seulement ça. C’est précisément à l’époque du scandale de la corruption d’Anaya qu’un autre scandale a éclaté. Il concerne directement le «candidat non-priiste du PRI», Jose Antonio Meade. En effet, la Cour des comptes fédérale [des «Etats-Unis du Mexique»] a annoncé un déficit de plusieurs milliards de pesos dans les comptes du secrétaire au Développement social au cours de l’année où il a été dirigé par la fonctionnaire corrompu Rosario Robles, qui fut remplacée en 2016 par José Antonio Meade. Ce dernier a déclaré qu’«il ne savait rien» et Peña Nieto a réconforté son collègue, sans rougir, en lui disant: «Ne t’inquiète pas». Bien sûr, comment peut-il s’inquiéter si Peña Nieto lui-même dépense presque 20 millions de pesos par jour dans les médias pour se faire connaître?

Dès lors, nous faisons face à la débâcle du bloc formé par le PRI et ses alliés nains, un fait qui marquera l’avenir de ce parti. Lié aux secteurs les plus corrompus du gouvernement, marqués par l’impunité, l’héritage de Peña Nieto est écrasant: aucun président n’avait auparavant atteint sa dernière année de mandat avec un aussi lourd fardeau d’impopularité, de haine et d’antipathie. José Antonio Meade ne peut se débarrasser de cet héritage, quel que soit le nombre de contorsions qu’il effectue et effectuera.

Seule une réaction suite à une provocation colossale pourrait renverser la chute retentissante de Meade annoncée dès aujourd’hui. Serait-ce une option envisagée dans la «salle de guerre» de Los Pinos [résidence officielle du président] pour éviter la victoire d’AMLO? Mais ce dernier a dit très clairement qu’il ne cherche pas à blâmer qui que ce soit et a déjà amnistié Peña Nieto et ses plus proches complices, dont les crimes mériteraient une enquête approfondie pour qu’ils puissent être punis. En commençant par la disparition de 43 étudiants d’Ayotzinapa [voir à ce propos, parmi d’autres, l’article publié sur ce site le 19 décembre 2015], la traînée des crimes commis durant le sextennat qui se termine est très longue et Peña Nieto sait que cela pourrait être un motif pour son emprisonnement. Ce choc entre le groupe au pouvoir aujourd’hui et l’arrivée possible d’un autre groupe avec AMLO à sa tête sera décisif pour déterminer le cours des événements avant et après les élections du 1er juillet. C’est une tension très dangereuse, mais l’ampleur des crimes et l’impunité du gouvernement actuel la rendent inévitable.

Les perspectives

En 1939, Trotsky écrivit dans un éditorial de Clave, le magazine qu’il publia pendant son séjour au Mexique, initié en 1937, les lignes suivantes faisant référence aux élections présidentielles de 1940:

«Certains lecteurs nous demandent quelle est la politique de notre magazine dans la campagne présidentielle. Nous répondons: notre magazine ne participe pas à la bataille pour les candidatures. Non en conséquence, il est clair, d’un préjugé anarchiste sur la non-participation à cette politique. En effet, là où ce préjugé mène réellement, nous l’avons déjà vu plus d’une fois en France, en Espagne et au Mexique. Non. Nous défendons la participation la plus active des travailleurs dans la politique. Mais pour une participation indépendante. Au Mexique, actuellement, il n’y a pas de parti ouvrier, aucun syndicat qui développe une politique de classe indépendante et qui est capable de lancer une candidature indépendante. Dans ces conditions, la seule chose que nous pouvons faire, c’est nous limiter à la propagande marxiste et à la préparation du futur parti indépendant du prolétariat.» (Clave. Tribune marxiste, datée de mars 1939)

Près de quatre-vingts ans plus tard, nous pouvons dire que ce sont des mots qui s’appliquent pleinement à la situation actuelle des travailleurs et de leurs alliés, exploités et opprimés dans tout le Mexique, et nous pouvons également souligner et répéter à plusieurs reprises, comme le fait Trotsky dans le paragraphe cité, le terme: indépendant.

La tentative infructueuse d’inscrire sur les bulletins électoraux le nom de la candidate soutenue par le Conseil national indigène et l’EZLN [Armée zapatiste de libération nationale], María de Jesús Patricio Martínez, mieux connue sous le nom de Marichuy, démontre de même que cette année les travailleurs et travailleuses n’ont pas été en mesure de présenter une alternative indépendante, et qu’à nouveau au Mexique n’a pas pu se forger une alternative politique nationale qui représente sous une forme indépendante et démocratique les intérêts et les objectifs des travailleurs et travailleuses, ainsi que de leurs alliés.

Il n’y a eu que trois occasions au cours des cent dernières années où les forces socialistes et se référant aux masses laborieuses ont réussi à présenter des candidatures présidentielles indépendantes des blocs bourgeois: en 1976, la candidature de Valentín Campa, un leader communiste remarquable; en 1982, la candidature de Rosario Ibarra présenté par le PRT [Parti révolutionnaire des travailleurs] et Martínez Verdugo présenté par le PSUM [Parti socialiste unifié mexicain] et en 1988, une fois de plus, la candidature de Rosario Ibarra présentée par le PRT.

Pour les socialistes révolutionnaires, c’est un défi majeur. Il est évident que la raison profonde de cette absence d’alternative de et pour les travailleurs est liée à la subordination historique du mouvement ouvrier aux intérêts corporatistes de l’Etat capitaliste qui l’a contrôlé au moyen de ses partis (en particulier le PRI). Cette situation est l’expression politique des luttes prolétariennes qui, pour la plupart, ont été vaincues par la combinaison de méthodes répressives et l’aliénation politique et idéologique des travailleurs et travailleuses.

Les temps à venir annoncent de nouvelles situations. L’une d’entre elles est que la croissance en nombre des masses laborieuse, leurs besoins, l’intensification de l’exploitation qu’elles subissent et l’accumulation des griefs préparent presque inévitablement une rupture de cette situation qui dure depuis si longtemps. La façon de se préparer pour développer un rôle d’orientation et pour surmonter une telle situation – tâche qui justifie l’existence de nos groupes socialistes, démocratiques et internationalistes – ne consiste pas à cacher nos idées programmatiques, l’une d’entre elles, fondamentale, étant que l’indépendance de classe (politique et idéologique) est la condition nécessaire pour l’émergence du facteur révolutionnaire par excellence dans la société capitaliste: un prolétariat au sein duquel se configure une conscience de ses intérêts actuels et historiques en tant que force anticapitaliste et socialiste.

Pour nous, lors des élections du 1er juillet, il n’y a pas de représentants de nos principes, de nos exigences et de notre objectif socialiste et internationaliste. C’est la raison pour laquelle nous n’appellerons pas à votre pour les candidats «inscrits». Et nous considérons comme une énorme erreur stratégique d’appeler et de promouvoir des illusions dans les candidatures bourgeoises, notamment d’AMLO. Il ne sera pas nécessaire de passer beaucoup de temps après les résultats du 1er juillet, quels qu’ils soient, pour qu’ils démontrent l’importance de semer parmi les ouvriers d’avant-garde les éléments constitutifs d’une l’indépendance politique et idéologique de classe afin d’amorcer l’émergence au sein des masses prolétarienne d’une force organisée, consciente, libertaire et émancipée. (Article envoyé par l’auteur le 19 février 2018. Traduction A l’Encontre)

Manuel Aguilar Mora, historien, est l’auteur de nombreux ouvrages sur l’évolution des institutions politiques au Mexique.

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