Cuba. Une année 2018 aux nombreuses inconnues

Raul Castro et Miguel Diaz-Canel

Par Patricia Grogg

Cuba commence une année qui pourrait être cruciale pour la vie de ses habitants, avec l’apparition en avril 2018 d’un nouveau président et l’espoir d’un progrès dans le processus de transformation vers un modèle économique efficace, productif et plus équitable socialement.

Fidèle à sa promesse de ne pas attendre une réforme de la Constitution pour quitter le gouvernement à la fin de son deuxième mandat de cinq ans, Raul Castro a réitéré dans son dernier discours de 2017 que le 19 avril 2018 prendra fin son mandat à la tête du Conseil d’Etat et des Ministres.

Avant cette date doit avoir lieu l’élection générale des délégués aux assemblées provinciales du Pouvoir populaire et celle des députés de l’Assemblée nationale (parlement unicaméral), définie dans la Constitution comme l’organe suprême du pouvoir d’Etat et le disposant d’un pouvoir constituant et législatif.

Le nouveau parlement élira le 19 avril, parmi ses membres, le Conseil d’Etat, composé d’un président – qui est le chef d’Etat et de gouvernement –, un premier vice-président, cinq vice-présidents, un secrétaire et 23 autres membres. Ce corps détient la «représentation suprême de l’Etat cubain», selon la Constitution.

Mais Castro, 86 ans, pourrait rester présent sur la scène politique jusqu’au huitième Congrès du Parti communiste de Cuba (PCC), prévu pour 2021, quand il terminera son mandat de cinq années en tant que premier secrétaire de ce parti politique, le seul autorisé dans le pays.

«Je souhaite que ceux qui prendront le relais gouvernemental de la génération historique puissent faire quelque chose de bien pour améliorer enfin la situation de l’économie», a confié à IPS un professeur d’école primaire, âgé 49 ans. Il a affirmé qu’il était «convaincu» que beaucoup de gens qui émigrent ne le font pas pour des raisons de mécontentement politique, mais pour aider leurs familles qui restent à Cuba.

Une femme – qui a demandé de ne pas publier son nom – a refusé de faire des commentaires sur le candidat le plus probable pour la présidence en 2018: Miguel Diaz-Canel, âgé de 57 ans. Ses biographes le décrivent comme un «homme politique cubain né après le triomphe de la Révolution, avec un rang plus élevé au sein du gouvernement révolutionnaire cubain».

De son poste de premier vice-président du Conseil d’Etat, Miguel Diaz-Canel a le mandat constitutionnel (article 94) de remplacer «en cas d’absence, de maladie ou de mort» le président de cet organe collégial et qui représente le parlement entre une session et la suivante.

De plus, il est également membre du Bureau politique du PCC depuis 2003. En le proposant pour ce poste devant le Comité central du PCC, Raul Castro a souligné sa «ténacité et cohérence au travail», son «esprit d’autocritique et un lien permanent avec le peuple», «son sens élevé du travail collectif et d’exigence face à ses subordonnés» et sa «solide fermeté idéologique».

Bien qu’il veuille conserver généralement un bas profil médiatique dans une vidéo montrant une intervention faite, semble-t-il, en février 2017 devant les militants du PCC, Diaz-Canel critique, parmi d’autres sujets, la politique américaine envers Cuba, ainsi que certains secteurs des médias et de l’opposition interne, qui ne jouissent d’aucune reconnaissance légale dans le pays.

Les attentes avant la succession présidentielle, considérée comme le plus grand événement de cette année, sont diverses. Elles vont du «ne vous attendez pas à quelque chose de nouveau», à la professeur Reina Fleitas qui aspire à faire avancer vers des changements qui pourraient aider à «construire un modèle économique productif qui favorise l’équité sociale».

«2018 sera une année importante du point de vue du changement générationnel en politique si nous voulons garantir la continuité d’une société juste», nous a déclaré l’universitaire et sociologue.

Pedro Ramirez, un ingénieur de 50 ans, veut que «les gens qui prennent la tête du pays dans ce changement imminent de gouvernement s’appuient sur le renforcement du rôle et du pouvoir autonome progressif du parlement cubain».

A son tour, le chercheur en sciences sociales Ovidio D’Angelo attend «la conscience et la volonté» d’agir de manière décidée sur les questions économiques, telles que des ouvertures réglementées dans les diverses configurations économiques, ainsi que l’élimination progressive de la double monnaie [CUP, peso cubain, et CUC, peso convertible «égal» au dollar, ce qui instille des différences socio-économiques fort importantes entre ceux qui ont accès à ce dernier] et une meilleure qualité de vie et de niveau de revenu pour la population.

Le spécialiste a également énuméré des questions juridiques telles que la réforme constitutionnelle et les lois portant sur les municipalités, les entreprises et les associations, parmi celles «en attente» pour 2018.

Ovidio D’Angelo s’interroge néanmoins: «La nouvelle administration sera-t-elle en mesure de fournir une réponse décisive à ces questions – au coût le plus bas possible pour la population – tant que les dirigeants du parti ne connaîtront aucun changement jusqu’au prochain Congrès (PCC)?»

Selon les données officielles, Cuba a terminé l’année 2017 avec une croissance de 1,6%, supérieure à la projection de 0,5% fournie par la Commission économique pour l’Amérique latine (CEPAL), bien que cela soit tout à fait insuffisant pour les besoins de développement du pays.

Le résultat est satisfaisant, mais il a été réalisé dans un contexte de restrictions financières, d’une disponibilité insuffisante en carburant, de l’impact d’une sécheresse aiguë qui dura pendant trois ans et suite «aux dommages importants causés par l’ouragan Irma», comme l’a déclaré R. Castro devant le parlement, le 21 décembre 2017.

Il reste encore à réparer les dégâts provoqués par l’ouragan Irma, qui a frappé le pays entre le 8 et le 10 septembre. Les dégâts sont évalués à 13’000 millions de dollars dans ce pays des Caraïbes, et cela constitue une des priorités pour 2018. Les dommages complets ou partiels subis par 179’000 maisons ont augmenté considérablement le manque d’habitations.

A la mi-2017, la pénurie chronique de logements a été officiellement estimée à 883’050, un secteur qui depuis des années reste le problème social le plus grave, amplifié par les ouragans fréquents qui frappent l’île et le manque de ressources de nombreuses familles pour construire une maison ou pour éviter la détérioration de leur logement.

Parmi les nombreux défis auxquels devra faire face le successeur de R. Castro, le plus complexe – et dont la «solution ne peut pas être retardée plus», selon le président à venir – réside dans la dualité monétaire et la fixation d’un système de taux de change. Un autre défi non moins important vise à accroître les investissements étrangers et, d’une manière générale, à progresser dans le processus de réforme.

Les représentants du gouvernement ont réitéré que le pays a besoin d’un flux annuel de capitaux étrangers d’environ 2500 millions de dollars pour viser à une croissance de 6%, objectif fixé pour atteindre le développement. Mais les obstacles bureaucratiques internes, pas seulement le blocus américain, découragent l’entrée des investissements.

La dualité monétaire et du taux de change – actuellement coexistent le peso et le dit CUC qui remplace le dollar dans la circulation interne et divers taux de change – est l’un des plus graves problèmes pour l’économie cubaine. Sa solution a été retardée à cause de son possible impact social et politique possible, parmi d’autres problèmes.

Dans le domaine politique, les experts conviennent que le plus grand défi pour ceux qui prendront les rênes du pays en avril réside dans «un modèle de gestion plus collectif et démocratique» et dans le «développement des espaces publics de délibération politique» ainsi que la participation plus active des citoyens et citoyennes.

«Les nouveaux dirigeants devront faire preuve de compétences, de la capacité à forger un nouveau consensus et être aptes à renforcer leur leadership et à manifester leurs capacités dans un contexte différent», écrit l’analyste politique cubain José Gómez Barata, dans sa chronique pour le journal mexicain Por Esto. (Publié par Inter Press Service-IPS, La Havane, le 4 janvier 2018; traduction A l’Encontre)

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