Cuba. Quelles réponses du gouvernement face à la crise?

Diaz Canel lors d’une réunion de la CEPAL qui s’est dite prête, en mai 2018, «à aider Cuba pour ses réformes économiques»

Par Ivet Gonzáles (La Havane)

Pour faire face à la grave crise que traverse Cuba, son gouvernement a décidé d’augmenter les salaires du secteur le plus vulnérable du point de vue de son allocation budgétaire, celui des travailleurs de l’administration centrale de l’Etat, dans le cadre d’un ensemble de nouvelles mesures visant à poursuivre les réformes et à relancer l’économie locale en difficulté.

Avec des réactions allant de l’approbation au scepticisme, mais toujours avec des questions sur les réseaux sociaux et des commentaires sur des sites web d’information, les citoyens cubains ont reçu, le 27 juin, des indications ayant trait aux nouvelles mesures, données par le président Miguel Díaz-Canel sur son compte Twitter. Il a fourni plus d’éléments le lendemain dans une intervention sur la télévision publique.

Il reste encore à connaître de manière plus détaillée les 30 mesures, dans 16 domaines de l’économie, qui pourraient être précisées lors de deux diffusions de l’émission Televisivo Mesa Redonda Informativa, annoncées pour le mardi 2 juillet et le mercredi 3 juillet, avec les interventions de plusieurs ministres.

Jusqu’à présent, le changement le plus expliqué est l’augmentation – incluse dans le budget – du salaire de 1’470’736 travailleurs et travailleuses du secteur étatique et constituant l’appareil public. Cette augmentation entre en vigueur à partir de ce mois de juillet et tombera dans leurs poches au mois d’août. Par exemple, les enseignants du secondaire gagnent l’équivalent de 22 dollars (555 CUP, le peso cubain) et recevront maintenant plus de 56 dollars (1400 CUP).

«Je pense que cette mesure a un impact social très positif», a déclaré à Inter Press Service Kruskaia Masa, enseignante dans une école primaire de la capitale depuis 40 ans. Au-delà de l’intérêt individuel, «j’espère qu’elle contribuera à mettre un terme à l’exode des travailleurs du secteur de l’éducation», a-t-elle ajouté.

Kruskaia Masa a expliqué que de nombreux enseignant·e·s ont quitté leur emploi à la recherche de revenus plus élevés dans des secteurs comme le tourisme ou le travail privé. «Espérons que cette augmentation des salaires stimulera la réincorporation de ces collègues dans la profession enseignante et augmentera également l’intérêt des jeunes pour notre profession», a-t-elle remarqué.

Dans ce pays caribéen ayant un gouvernement socialiste, l’Etat continue d’être le principal employeur, employant 3,1 millions de personnes sur les 4,5 millions qui y travaillent. Les 1,4 million restants travaillent dans le secteur privé et coopératif, qui se limite à certaines activités.

Au sein de l’emploi public, 52% travaillent dans des entreprises d’Etat dont la politique salariale dépend des résultats, tandis que 48% travaillent dans des unités de l’appareil public dépendant de décisions budgétaires; unités caractérisées par de faibles salaires fixes qui doivent maintenant être augmentés.

Bien qu’il soit encore insuffisant pour éliminer l’écart entre le salaire et le coût de la vie, les travailleurs des tribunaux, de l’éducation et de la santé publique, des organismes gouvernementaux, des médias, de la culture et du sport, entre autres, avaient un salaire minimum équivalent à 9 dollars, qui est passé à 16 dollars.

Le segment qui soutient les services gratuits pour la population de 11,2 millions d’habitants, tels que la santé et l’éducation, a vu ses salaires gelés depuis juin 2014, lorsque la dernière augmentation massive des salaires a eu lieu pour plus de 440’000 agents du système de santé.

Avec ce nouveau paquet de mesures, Díaz-Canel poursuit les réformes économiques et sociales initiées par le gouvernement de Raúl Castro (2008-2018), que l’actuel président a réitérées et auxquelles il semble maintenant donner son empreinte.

«Un changement de salaire était essentiel pour le secteur «budgétisé», en particulier pour la santé et l’éducation. L’exode des travailleurs de ces secteurs est très élevé, or ils constituent la base de la société», a déclaré à IPS María Antonia Lemes, comptable qui vit dans la province de Mayabeque, se situant à l’est de La Havane.

Antonia Lemes travaille pour une entreprise d’Etat qui fournit des services à l’agriculture de la canne à sucre et tire profit des résultats obtenus.

Ces entités sont au centre de certaines des mesures annoncées par Díaz-Canel pour faire face à la récession économique – qui a commencé en 2016 en raison des coupures dans l’approvisionnement pétrolier en provenance du Venezuela –, une économie qui traverse un grave marasme en raison de carences internes et de la reprise des diverses sanctions orchestrées par les Etats-Unis.

Au cours des derniers mois, la population cubaine a surmonté les pénuries de médicaments et de nourriture.

«En tant qu’entreprise, nous avons de nombreuses limites: parfois, les plans ne sont pas réalisables et les indicateurs relèvent de l’inaccessible», confie Maria Antonia Lemes, par exemple. «Si l’entreprise publique doit avoir plus d’autonomie, elle aura peut-être plus d’efficacité et de productivité, et donc des revenus plus élevés pour les travailleurs.»

Il est apparu que les mesures visent également à accroître la production nationale, à diversifier et à accroître les exportations, à promouvoir les chaînes de production et l’entreprise publique, l’autosuffisance municipale, les projets de développement local, les investissements dans le commerce de détail, la production agricole et le logement.

A sa manière, la comptable A. M. Lemes a fait référence aux freins de l’économie cubaine signalés depuis des décennies par des économistes.

«Les mesures approuvées répondent à la logique selon laquelle l’un des moyens possibles de résoudre la forte crise du pays est de dénouer certains des nœuds qui limitent la production», nous a déclaré l’économiste Omar Everleny Pérez.

Dans ce groupe, ce spécialiste a identifié l’augmentation de salaire et les changements pour «accorder une autonomie aux chefs d’entreprise cubains», qui «ont peu de marge en raison de l’hyper-centralisation dans le pays», bien que l’entreprise étatique contrôle l’économie.

Un autre aspect des mesures qui n’a pas beaucoup été abordé est leur effet positif sur l’unification monétaire et l’unification des taux de change, une question en suspens dans un pays avec plusieurs taux de change et la circulation de deux monnaies: une forte qui équivaut au dollar, connue sous le nom de peso convertible cubain (CUC) et une autre monnaie faible, le CUP.

«Tout indique que l’ensemble des mesures approuvées pourrait servir de base au renforcement du CUP», a fait remarquer M. Pérez. «Ce serait un bon point de départ pour passer à une monnaie unique, bien que les différents taux de change n’aient pas encore été résolus, ce qui est beaucoup plus important», a-t-il poursuivi.

L’économiste a qualifié les propositions de «bonnes mesures», mais a averti que «pour croître aux rythmes nécessaires, des mesures plus profondes seraient nécessaires, telles que la mise en place de petites et moyennes entreprises privées, permettant à tous les acteurs économiques d’importer et/ou d’exporter, et la création de marchés de gros, entre autres».

Les citoyens étant de plus en plus responsabilisés grâce à un meilleur accès à l’Internet, de nombreuses personnes demandent aux autorités comment elles éviteront une augmentation de l’inflation lorsque les salaires augmenteront dans le contexte présent des pénuries. Et comment les mesures seront complémentaires et dans quel délai elles seront appliquées.

Les réformes du pays socialiste semblent s’accélérer car, le 27 juin, il a été publié dans le Journal officiel de la République le décret-loi n° 373 «Del Creador Audiovisual y Cinematográfico Independiente», qui répond à certaines des demandes répétées pour la reconnaissance des cinéastes indépendants. (Article publié sur le site d’Inter Press Service, 1er juillet 2019; traduction A l’Encontre)

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