Cuba. Les brigades médicales, face au labyrinthe d’une nouvelle carte politique latino-américaine

Retour à La Havane, le 18 novembre 2019, de 224 collaborateurs / collaboratrices de la Brigade médicale cubaine active en Bolivie

Par Luis Brizuela

Les brigades médicales représentent un axe de la politique étrangère de Cuba, ainsi qu’une source de devises. Mais cette politique étrangère traverse une étape complexe après le retrait de ces missions de certains pays d’Amérique latine, dans lesquels Cuba a, jadis, noué des alliances décisives.

Cela se produit après l’arrivée au pouvoir de dirigeants conservateurs, comme au Brésil (Bolsonaro) et en Bolivie (Jeanine Áñez, présidente par intérim) qui, en plus de se rapprocher des positions du gouvernement des Etats-Unis, affaiblissent les mécanismes d’intégration régionale, tels que la Communauté d’Etats Latino-Américains et Caraïbes (CELAC) ou l’Alliance Bolivarienne pour les Peuples de Notre Amérique – Traité de commerce des peuples (ALBA-TCP).

Plusieurs événements remettent donc en question ce pilier de l’économie cubaine pour laquelle l’exportation de services professionnels reste toujours le secteur central.

Cuba a dû retirer plus de 700 professionnels qui faisaient partie du contingent médical en Bolivie en raison de l’instabilité politique, d’un climat d’insécurité et d’actes menaçants suite à la démission, le 10 novembre, du président Evo Morales (2006-2019).

Dans cette nation andine, l’île des Caraïbes fournissait des services médicaux gratuits dans le cadre du «Programme Intégral de Santé», ainsi que dans 26 autres pays disposant de peu de ressources comme Haïti, le Salvador, le Guatemala, le Nicaragua et le Honduras, entre autres.

En novembre 2018, Cuba a dû retirer du Brésil les plus de 8500 médecins qui faisaient partie du programme «Mais Médicos» (Plus de Médecins).

Le gouvernement cubain a accusé le président d’extrême droite Jair Bolsonaro de développer une position «hostile, irrespectueuse et offensive» envers les professionnels cubains de la santé travaillant dans les régions pauvres et éloignées de ce pays sud-américain. Cette initiative s’inscrivait dans le cadre d’un accord en vigueur depuis 2013 et dont fait aussi partie l’Organisation Panaméricaine de la Santé [dont le siège social est à Washington].

Le 19 novembre 2019, Cuba et l’Equateur ont signé un document qui met fin à six accords spécifiques de coopération scientifique et d’assistance technique, souscrits par les Ministères de la santé des deux pays en 2009. Les autorités équatoriennes ont invoqué des raisons économiques pour ne pas les renouveler.

Cependant, le 5 décembre 2019, une déclaration du ministère cubain des Affaires étrangères a fait savoir que les vraies raisons étaient les pressions exercées par l’Ambassade des Etats-Unis à Quito [le président de l’Equateur, depuis mai 2017, est Lenín Moreno].

Selon cette déclaration, des fonctionnaires du Département d’Etat états-unien, de l’Agence des Etats-Unis pour le Développement International (USAID) et des diplomates de Washington «se sont adressés aux autorités nationales – au même titre qu’au Guatemala, par exemple – pour exiger de manière péremptoire et suspecte des informations sur la coopération médicale cubaine dans le but de trouver le moyen de la supprimer.»

Les autorités cubaines rejettent les déclarations des responsables américains qui prétendent que les missions médicales cubaines sont des pratiques «d’esclavage moderne» et de «trafic d’êtres humains», ou qu’elles interviennent dans les affaires intérieures des Etats où elles opèrent.

Le rapport de Cuba sur la prévention et la lutte contre la traite des personnes et la protection des victimes (2019), publié le 24 janvier sur le site du ministère des Affaires étrangères, ne fait pas de référence à ce type de disqualifications des missions de professionnels de la santé.

Outre la publicité négative, Cuba a vu diminuer les importantes ressources financières qu’elle percevait pour l’assistance médicale fournie. Elles sont estimées entre 6 et 8 milliards de dollars annuels au cours des dernières années, selon les experts.

Le gouvernement du président Miguel Díaz-Canel [président de la République de Cuba depuis octobre 2019] doit faire face à des relations de plus en plus complexes avec l’Amérique du Sud en raison de l’hostilité renouvelée du gouvernement du président états-unien Donald Trump.

Bien que les relations diplomatiques rétablies en 2015 soient toujours maintenues, la Maison-Blanche a mis un frein à la politique de rapprochement avec Cuba de son précédent locataire, le démocrate Barack Obama (2009-2017), et a durci la politique de sanctions au cours des 12 derniers mois.

En mai dernier, l’administration Trump a réactivé les titres III et IV de la loi Helms-Burton [officiellement le Cuban Liberty and Democratic Solidarity Act dont les instigateurs sont le sénateur Jesse Helms et le représentant Dan Burton, les deux républicains] qui, depuis 1996, a unifié dans un seul corps législatif renforcé les instruments de l’embargo économique, commercial et financier contre La Havane, déjà en vigueur depuis 1962.

Par ailleurs, l’administration Trump a limité le montant des envois de fonds [par les exilés cubains] vers le pays des Caraïbes. Elle a annulé les visas de voyage sur des bateaux de plaisance et de passagers, y compris les navires de croisière, et a limité les vols directs et de charters à destination de La Havane, parmi d’autres mesures.

Le gouvernement cubain a accusé Washington de faire pression sur les compagnies de transport maritime de pétrole dans le but de couper l’approvisionnement de Cuba et de frapper davantage l’économie de l’île, très dépendante des importations de pétrole.

Bien que ces mesures aient un impact négatif sur les familles et le naissant secteur économique privé cubain, Washington prétend qu’elles visent à dissuader La Havane de fournir des renseignements et des conseils de sécurité au gouvernement de Nicolás Maduro au Venezuela.

Pour sa part, Díaz-Canel défend son soutien inconditionnel au gouvernement vénézuélien, avec lequel il a noué une alliance stratégique, tout en invitant Washington à maintenir des relations «civilisées» sur la base de l’égalité et du respect de la souveraineté. A plusieurs reprises, Cuba a accusé l’administration Trump d’essayer de diviser la région et de faire revivre la doctrine Monroe [dans un premier temps, elle visait à bloquer la politique de pays européen dans le «Nouveau Monde» –1823 – puis elle a servi de base pour le déploiement impérialiste des Etats-Unis dans des régions «voisines» – de la Floride au Nouveau-Mexique puis à la Californie, pour s’étendre, par la suite, à la Caraïbe et à l’Amérique dite latine].

Synthétisée dans la phrase «l’Amérique pour les Américains», cette doctrine fut conçue comme un principe de la politique étrangère de la nation du Nord lui permettant de garantir son hégémonie en Amérique latine.

En novembre et pour la vingt-huitième fois consécutive, a été présentée à l’Assemblée générale des Nations Unies la résolution «Nécessité de lever l’embargo économique, commercial et financier imposé par les Etats-Unis d’Amérique à Cuba». Cette résolution a obtenu le soutien de 187 pays sur un total de 193 membres.

Mais pour la première fois, le Brésil a voté avec les Etats-Unis et Israël pour le maintien de l’embargo, tandis que la Colombie – gouvernée par le président de droite Iván Duque – s’est abstenue, rompant ainsi la traditionnelle condamnation unanime de cette politique en Amérique latine.

Début octobre 2019, des universitaires et des intellectuels colombiens ont considéré comme étant une erreur la décision de Bogota de rompre les relations diplomatiques avec Cuba, suite aux attaques fréquentes du président Duque et de membres de son cabinet contre les protocoles du processus de dialogue avec l’Armée de Libération Nationale (ELN) de Colombie, processus en cours à Cuba.

Des spécialistes attirent l’attention sur la fragilisation des concepts d’intégration et de consensus qui ont guidé la constitution, en décembre 2011, de la CELAC elle-même (Communauté d’Etats Latino-Américains et Caraïbes), ainsi que sur le démantèlement virtuel de l’Union des Nations Sud-Américaines (Unasur).

Face à la montée des conflits et des désaccords régionaux, certains analystes mettent en garde contre la nécessité de respecter l’un des accords les plus symboliques des 33 pays de la CELAC: la Proclamation de l’Amérique Latine et des Caraïbes comme zone de paix, adoptée en janvier 2014, précisément à La Havane.

Pour beaucoup, il est encourageant que le gouvernement mexicain ait assumé la présidence temporaire de la CELAC ce mois-ci, avec pour mission de renforcer et de consolider le plus important instrument de coopération dans la région.

Cependant et selon la presse, le Brésil a confirmé qu’il ne collaborera pas avec l’organisation en raison de la présence du Venezuela et de Cuba [et l’Equateur de L. Moreno annonçait son départ en mars 2019]. De son côté, le 24 janvier, le gouvernement intérimaire de Bolivie a annoncé la suspension des relations diplomatiques avec Cuba, ce qui constitue un défi supplémentaire. (Article publié par Inter Presse Service (IPS)-La Havane, en date du 31 janvier 2020; traduction Ruben Navarro pour alencontre.org)

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