L’Amazonie privatisée

Dans cette vue globale de la forêt amazonienne, les exploitations se distinguent facilement au sud et à l'est par des traces plus claires qui rongent l'étendue verte comme une maladie qui progresse vers le centre d'un organe

Eleonora Gossman*

Lula met entre des mains privées une grande partie de l’Amazonie. Ainsi 67,4 millions d’hectares de terres publiques pourront maintenant être attribués à des propriétaires individuels. Chacun de ces propriétaires pourra obtenir jusqu’à 1500 hectares, et, au bout de trois ans seulement, ils auront le droit de les revendre. Les terres seront utilisées pour le soja et pour l’élevage.

Le gouvernement brésilien a décidé de légaliser la privatisation de la forêt amazonienne. Hier [le 25 juin 2009], le président Lula da Silva a promulgué une loi qui prévoit de «régulariser» la possession de terres dans la forêt par des individus qui, par le passé, s’en étaient emparés de manière illicite pour cultiver du soja ou pour développer des activités d’élevage.

Cela signifie que 67,4 millions d’hectares vont être distribués à des personnes physiques qui pourront disposer d’étendues atteignant jusqu’à 1500 hectares. La superficie en jeu équivaut à la somme des superficies de cinq grandes provinces argentines: Buenos-Aires, Cordoba, Santa Fé et Entre Rios. Cette loi controversée constitue une défaite pour les écologistes et un triomphe des ruralistes [grands agriculteurs fortement organisés au plan politique et très influants dans l’Etat et le gouvernement].

L’Amazonie brésilienne occupait primitivement 5 millions de kilomètres carrés. On ne connaît pas son étendue aujourd’hui. Mais nous avons quelques pistes: sur ce total, seuls 100’000 Km2 sont préservés pour être des réserves indigènes et 200’000 autres sont destinés à l’exploitation dite durable.

Le gros de la forêt est constitué de terres publiques qui couvrent 1,9 millions de km2 et devrait constituer un sanctuaire. En principe, la loi  que l’Exécutif a transmise au Parlement  ­et qui a été approuvée avec quelques modifications ­– dont certaines substantielles – avait une justification. Il s’agissait en effet de rendre plus transparente la possession de très grandes propriétés par des firmes ou des personnes et éviter, au moins en théorie, que l’on abatte trop d’arbres dans ces grandes exploitations. D’après le Code de forêt brésilien, un exploitant – qu’il soit un individu ou une firme – ne peut supprimer que 20% de la forêt à des fins productives.

La nouvelle loi, que Lula a approuvée en fin de nuit [du 25 juin 2009], contient cependant des éléments très contestables. Selon les écologistes, l’objectif des ruralistes n’est pas seulement d’obtenir que la loi soit adoptée, puisqu’elle légalise la propriété de terres qui appartenaient à l’Etat. Selon les Organisations non-gouvernementales (ONG), dont Greenpeace et World Wide Fund for Nature (WWF), la prochaine mesure voulue par les grands propriétaires est de renverser le Code de la forêt. Igor Santos, directeur de presse du Mouvement des Sans Terre (MST) – qui par le passé a été un allié assez proche de Lula – a révélé que [ce renversement du Code de la forêt] «est déjà en discussion au Congrès, et c’est le pas qui manquait pour légitimer la dévastation de la forêt».

Les ONG soutiennent qu’une partie des terres qui seront remises à leurs actuels possesseurs a déjà perdu sa couverture végétale, mais qu’une autre partie reste vierge. Et c’est cette partie qui subira à court terme les coupes et les incendies. Selon les experts, il suffisait d’utiliser les terres qui avaient déjà perdu leur végétation – mais qui restaient encore improductives — pour permettre la production de suffisamment d’aliments non seulement pour le Brésil, mais aussi pour le reste du monde. Avec l’appui des médias brésiliens, cette loi sera connue sous le nom de «decreto del grillaje». On l’appelle ainsi parce que les titres de propriété des grandes extensions amazoniennes ont été forgés par leurs propriétaires présumés de manière à ce qu’ils ressemblent à des documents anciens. Le procédé  est simple: il suffisait de laisser pendant quelque temps les documents dans des boîtes avec des grillons. Ces insectes marquaient le papier et leurs déjections le jaunissent.

Parmi les points les plus controversés de la loi il y a le fait qu’elle permet de vendre les terres à des propriétaires disposant de grandes ressources après juste trois ans. Cela crée un essor inespéré pour les opérations du marché foncier agricole. Au Sénat, c’est justement le lobby des agro (grands propriétaires fonciers) qui s’est battu pour la loi de régularisation de l’occupation. Ils ont expliqué au journal Clarin que cette loi «leur donne de la sécurité juridique et leur permet de procéder à l’exploitation sans risquer ni des amendes, ni d’être expulsés de ces terres».

Au cours de cette bataille, maintenant perdue, le Ministre de l’Environnement, Carlos Minc, a traité les producteurs ruraux de «menteurs».

Lula a cependant pris ses distances par rapport à ce ministre. Et selon ses déclarations, il est «fier» que les propriétaires de terres qui n’avaient que 50 hectares dans l’Etat de Rio Grande do Sul «aient aujourd’hui 2’200 hectares (dans la forêt amazonienne), et qu’ils aient des maisons et des véhicules. Ils vivent bien parce qu’ils ont produit, travaillé».

Ces propos, Lula les a prononcés cette semaine dans la municipalité de Alta Floresta, au nord du Matto Grosso. Cet Etat, qui fait partie de l’Amazonie, est parmi ceux qui ont subi la plus grande dévastation suite à l’activité prédatrice humaine. (Traduction A l’Encontre)

* Correspondante à Sao Paulo, du quotidien argentin Clarin, article publié le 26 juin 2009.

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