Brésil. Quelle est la stratégie pour vaincre ce gouvernement néofasciste?

Le général Hamilton Murao, vice-président, et Jair Bolsonaro, président

Par André Freire

Une déclaration de l’ancien président Lula (Parti des travailleurs-PT), lors d’une récente interview dans le quotidien suisse Le Temps [1] – affirmant que Bolsonaro n’a pas encore commis de crime de responsabilité [c’est-à-dire un acte illicite commis par une personnalité politique, infraction prévue dans la Constitution brésilienne de 1988] et que son mandat de quatre ans devrait être respecté – a encore alimenté la discussion sur ce thème au sein de la gauche et des mouvements sociaux brésiliens.

Nous ne devons en aucun cas être d’accord avec cette déclaration de l’ancien président et leader du PT. Jair Bolsonaro a bien commis un crime de responsabilité. Pas un, mais plusieurs, si on examine bien ses initiatives.

Ainsi, la diffusion d’une vidéo appelant à des manifestations réactionnaires pour le 15 mars visant les institutions du régime politique actuel, telles que le Congrès et la Cour suprême fédérale – diffusion depuis son téléphone portable personnel – viole directement la Constitution du pays.

Le non-respect répété par Bolsonaro de la liberté de la presse, qui est un droit constitutionnel, ne devrait pas non plus laisser de doute. L’attaque sexiste contre la journaliste Patrícia Mello [2], du quotidien Folha de S. Paulo, par l’actuel président misogyne, est une violation flagrante des convenances, inappropriée à sa position.

De même, il est inacceptable qu’un président qualifie de héros un tueur à gages, chef d’une milice, comme il l’a fait en référence à l’ex-«capitaine Adriano», tué à Bahia [3]. Un lien évident existait entre la famille Bolsonaro et son groupe politique et la milice de Rio de Janeiro, dont Adriano était membre.

Même le fameux «pédalage budgétaire» [opération classique d’équilibrer artificiellement les comptes de l’Etat avant les élections grâce à des emprunts momentanés: cavalerie budgétaire], une excuse boiteuse utilisée pour le coup d’Etat parlementaire visant à la destitution de l’ancien président Dilma Rousseff (PT) en août 2016, Bolsonaro a fait de même en 2019.

Ainsi, Lula commet une grave erreur et rend un mauvais service en n’utilisant pas son poids politique vers une partie importante de la population afin d’expliquer que Bolsonaro a commis plusieurs crimes de responsabilité. Pire encore est son soutien à une option de respect de la durée du mandat de Bolsonaro; c’est-à-dire le respect d’un gouvernement néofasciste qui a détruit les droits sociaux et mis en place une escalade autoritaire contre les libertés démocratiques de base.

Les mots de Lula ne représentent en aucune mesure une erreur. Ils sont très révélateurs de la stratégie des dirigeants du PT. Elle consiste à tout miser sur la bataille électorale de 2022, en comptant sur une usure croissante du gouvernement actuel.

Il n’est pas erroné en principe de vouloir défaire ce gouvernement par la voie électorale. Le problème est que d’ici les prochaines élections, il se peut qu’il ne reste plus de droits sociaux et démocratiques pour la majorité de la population et donc que nous assistions à la fin des espaces démocratiques, même les plus petits, qui existent aujourd’hui. La lutte se déroule actuellement. La conjoncture politique exige de la fermeté et une réponse énergique, venant de la rue, contre la destruction des droits et l’aggravation des traits autoritaires du gouvernement néofasciste de Bolsonaro.

Est-ce le moment pour une proposition d’impeachment?

La conclusion évidente que Bolsonaro a déjà commis plusieurs crimes de responsabilité ne doit pas être confondue avec la possibilité de présenter maintenant, au Congrès, une proposition de destitution avancée par les partis de gauche.

Il n’y a aucun signe significatif qu’il y ait une réelle chance de faire avancer, dans la phase politique actuelle, une proposition de destitution au Congrès. Les déclarations plus que modérées de Rodrigo Maia (Démocrates, président de la Chambre des représentants) et de David Alcolumbre (Démocrates, président du Sénat et dès lors président du Congrès, soit des deux Chambres), face à la diffusion par Bolsonaro de la vidéo favorable à la mobilisation du 15 mars anti-institutionnelle, ont déjà servi d’avertissement.

Mais s’il y avait encore des doutes, l’accord conclu le 4 mars entre le gouvernement et la majorité corrompue et réactionnaire du Congrès – qui a validé l’essentiel du veto de Bolsonaro sur le projet fiscal et budgétaire – est la preuve qu’il n’y a pas la moindre volonté de la part de la majorité des dirigeants des partis traditionnels de droite de soutenir une proposition de destitution.

Déposer une demande de destitution sans qu’une majorité significative manifeste son opposition au gouvernement et, surtout, sans que soit en cours un large processus de mobilisation populaire contre Bolsonaro et ses attaques, pourrait aboutir à démoraliser une initiative importante comme celle-ci. Et cela pourrait se terminer par un «effet boomerang», en renforçant ceux que l’on voudrait le plus atteindre.

L’exemple de la demande de destitution de Donald Trump par le Parti démocrate états-unien, rapidement battu par la majorité républicaine au Sénat, peut aider à réfléchir davantage sur cette question délicate.

Il est important de rappeler que l’approbation par le Congrès d’une destitution est totalement improbable à l’heure actuelle, surtout sans que soit construit un rapport de forces favorable aux exploité·e·s et aux opprimé·e·s. Cela ne ferait au mieux qu’écarter Bolsonaro, plaçant le général et vice-président Hamilton Mourão à la présidence. Ce qui, bien sûr, ne répondrait pas à nos revendications. Notre opposition s’affirme face à l’ensemble du projet néofasciste d’extrême droite, dans lequel Bolsonaro et Mourão sont des «frères siamois».

Par conséquent, présenter une proposition de destitution sans la moindre chance de succès ne peut être une priorité pour la gauche et les mouvements sociaux. Elle ne peut être que dans l’intérêt de secteurs et de parlementaires les plus intéressés par leur notoriété médiatique et par une certaine répercussion de leur présence sur les réseaux sociaux.

Le moment exige de la gauche une position plus cohérente et moins intempestive. Il n’y a pas de raccourcis possibles. Cette conjoncture exige de donner la priorité à toutes les initiatives et positions politiques qui contribuent à une reprise vigoureuse des mobilisations populaires contre le néofasciste Bolsonaro. Et cela par la construction d’un front vraiment unique des exploité·e·s et des opprimé·e·s, et en appelant à une lutte commune de tous les secteurs qui veulent résister face à l’escalade autoritaire de ce gouvernement. Telle doit être la stratégie de la gauche en ce moment.

Défendre le renversement du gouvernement maintenant, surtout par la mauvaise voie de la destitution, ne contribue pas à cette tâche prioritaire de recherche de la mobilisation unitaire de tous et de chacun. Nous devons nous concentrer de plus en plus sur l’appel et la préparation de la journée nationale de mobilisation, qui commence le 8 mars, Journée internationale des femmes; passe par le 14 mars, marquant la commémoration du meurtre brutal en 2018 de Marielle Franco et de son chauffeur Anderson Pedro Gomes; et qui débouche sur le 18 mars, date de la grève nationale du secteur de l’éducation et de la journée nationale de lutte appelée par les syndicats centraux et les fronts de lutte à l’échelle de l’Etat. (Article publié sur le site Esquerda online, le 5 mars 2020; traduction rédaction A l’Encontre)

André Freire est historien et membre de la Coordination nationale du courant Resistencia dans le PSOL.

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[1] «A moins que Bolsonaro ne commette un geste fou ou un crime, nous ne pouvons pas le destituer. Nous ne pouvons pas renverser un président parce que nous ne l’aimons pas. Ce serait la mort de la démocratie.» Le Temps, 1er mars 2020. (Réd.)

[2] Cette journaliste réputée effectuait une enquête sur Jair Bolsonaro. Ce dernier l’a accusée de manière immonde d’avoir cherché à obtenir des informations le concernant en utilisant un «jeu de mots» qui impliquait que cette dernière aurait proposé des relations sexuelles pour obtenir un scoop. (Réd.)

[3] L’ex-capitaine Adriano Magalhaes de Nobrega avait été l’objet de 29 jours de détention administrative par la Police militaire (PM), en 2005. Par la suite, il fut l’objet de deux punitions administratives par la direction de la PM, qui l’exclut de ses rangs en 2014. Son exclusion était fondée sur sa participation à une milice. Ces faits corroborés se révèlent en opposition avec la déclaration du président Bolsonaro en date du 15 février. Il qualifia l’ex-membre de la PM de «héros de la Police militaire». Le fils de Jair Bolsonaro, Flavio, a rendu hommage à l’ex-capitaine dans le cadre de l’Assemblée nationale de l’Etat de Rio de Janeiro, sur demande de son père. Les liens entre Flavio Bolsonaro et l’ex-capitaine étaient connus. (Réd.)

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