Brésil. Lula est aujourd’hui inculpé dans la «Lava Jato»: trois questions directes et trois réponses frontales

Lula riposte le 20 septembre 2016
Lula riposte le 20 septembre 2016

Par Valerio Arcary

1° Le PT (Parti des travailleurs) n’a-t-il pas gouverné le Brésil en collaboration avec des banquiers et des grands industriels, et n’a-t-il pas reçu les applaudissements de l’impérialisme? Lula n’a-t-il pas vécu un processus personnel d’embourgeoisement corrompu? Lula n’a-t-il pas été le principal dirigeant d’une organisation corrompue qui a financé le PT et l’a enrichi? Ne doit-il pas être condamné? S’il est condamné, n’est-il pas juste qu’il ne puisse pas présenter sa candidature?

Non, il n’est pas juste que ce soit le juge fédéral Sergio Moro [qui mène l’enquête sur l’opération Lava Jato – Lavage express – ou «scandale Petrobras»] qui décide du futur de Lula. Les travailleurs doivent châtier Lula et le PT en leur retirant leur soutien dans les syndicats, dans les mouvements, dans les urnes. Mais pas Sergio Moro. [Voir sur ce thème les nombreux articles publiés sous l’onglet Brésil sur le site alencontre.org.]

Non seulement nous ne soutenons pas le projet d’un Frente Amplio autour de Lula pour 2018 [élections présidentielles et législatives], mais nous considérons qu’il est décisif pour le futur de la gauche de commencer, dès aujourd’hui, la construction d’un Front de gauche socialiste qui soit indépendant du PT et de ses alliés. Mais nous défendrons, évidemment, le droit du PT de présenter Lula comme son candidat.

Si le PT et Lula ont gouverné en faveur de la classe dominante, cela mérite d’être dénoncé, mais ce n’est pas illégal. Cela peut être, politiquement, immoral, mais ce n’est pas illégal. Nous avons des divergences irréconciliables avec le «lulisme», mais nous ne pouvons pas être complices d’une investigation policière qui criminalise le PT et Lula.

Oui, c’est vrai, Lula en était venu à vivre selon un style de vie incompatible avec son identité socialiste. Mais cela n’est pas un crime. C’est immoral, mais ce n’est pas illégal. C’est là quelque chose que Pepe Mujica [président de mars 2010 à mars 2015] en Uruguay a évité de faire, bien qu’au plan du programme il ait eu une orientation de collaboration de classes semblable à celle de Lula. L’embourgeoisement du mode de vie comme, par exemple, la consommation de luxe procurée par la condition de président de la République mérite d’être jugé comme immoral.

Mais pour ceux qui adoptent une perspective de gauche, l’orientation de collaboration de classes fut une erreur, ou une capitulation, ou une trahison, selon que chacun de nous épouse une orientation plus ou moins radicale (à la racine du système). Mais c’est là une dénonciation politique, et même morale. Oui c’est aussi moral, dans la mesure où la défense de politiques réactionnaires comme, par exemple, le maintien du tripode macroéconomique des gouvernements du président [janvier 1995-janvier 2003] Fernando Henrique Cardoso (haut solde budgétaire primaire, soit avant le service de la dette, taux de change fluctuant, taux Selic élevé [1]) mérite d’être dénoncée comme des politiques immorales en raison, entre autres, des sacrifices disproportionnés qui retombaient sur les épaules de ceux qui travaillent.

Mais, de nouveau, ce sont là des dénonciations politiques. Elles ne fournissent pas la base d’un processus d’accusation criminelle. La thèse centrale de l’accusation qui présente Lula comme le chef d’une bande, appuyée sur le postulat, supposé avoir une base juridique, de la théorie de la «domination de fait», n’est qu’une construction politique pour criminaliser Lula, et aider à blinder le gouvernement du président Michel Temer et empêcher une possible candidature de Lula en 2018.

La raison en est simple: ils ont peur du soutien électoral que Lula peut encore récolter en 2018, quand Temer aura exercé le pouvoir durant deux ans et avec l’arc parlementaire d’alliances qui lui garantissent 400 voix au Congrès national [sur 513 députés et 81 sénateurs].

2° L’appartement de trois étages et la maison de campagne ne lui appartiennent-ils pas? Les conférences payées 250’000 dollars ne formaient-elles pas partie d’un schéma de corruption?

Les enquêteurs de la Lava Jato ont immortalisé la phrase la plus absurde du mois: «Nous en avons la conviction, mais nous n’avons pas preuves.»

Il n’y a pas de preuves que l’appartement de Guarujá ou la propriété de Atibaia soient la propriété de Lula.

Et ces propriétés ne sont pas incompatibles avec ses revenus. Il y a des indices que Lula peut avoir négocié avec des entreprises de construction des travaux de transformation dans ces immeubles comme rétribution de faveurs et cela serait immoral, s’il en était le propriétaire, et s’il n’a pas payé les travaux, ce serait un délit. Mais comme il n’y a pas de preuves, cela ne justifie pas l’inculpation.

Cela nous surprend que le juge Sergio Moro ait accepté de mener l’accusation. Ses abus dans l’épisode de la publication de la conversation téléphonique entre Dilma et Lula

[enregistrement d’une écoute judiciaire diffusé par le juge fédéral le 16 mars 2016] l’avaient déjà disqualifié comme juge adéquat.

Les conférences payées des «millions» de Lula sont une manière immorale de gagner de l’argent, mais non pas illégale. Elles révèlent que ses opinions étaient sérieusement prises en considération par les mêmes capitalistes du Brésil qui aujourd’hui appuient Michel Temer. Elles sont immorales parce qu’un dirigeant des travailleurs ne doit pas se prêter au triste rôle de conseiller des patrons. Mais elles ne sont pas une activité plus délictueuse que les conférences de Fernando Henrique Cardoso ou n’importe quel dirigeant bourgeois.

La charge de la preuve dans n’importe quelle enquête judiciaire civilisée doit incomber à qui accuse. La présomption d’innocence ne doit pas être comprise comme un excès de «légalisme». Dans un pays comme le Brésil, où la classe dominante a gouverné si longtemps, et si souvent, en détruisant les libertés démocratiques les plus élémentaires, la gauche a le devoir de savoir dire non à tout abus d’autorité de la justice.

3° N’est-il possible d’être contre l’inculpation de Lula que si nous croyons à son innocence?

Non. Nous ne devons pas créer des illusions à propos de l’innocence de Lula.

Lula et la direction du PT ne sont pas innocents. Ils sont, politiquement, coupables.

Oui, c’est vrai, Lula a changé et il est devenu bien pire.

Cependant, il n’est pas prouvé que Lula s’est enrichi illicitement par des activités de corruption, et il n’a pas été prouvé que c’est lui qui a monté le réseau de financement du PT au moyen de la surfacturation de contrats de la Petrobras. Il n’a pas été prouvé qu’il a tiré bénéfice des transformations des immeubles.

Voilà, aujourd’hui, nos réponses aux questions relevant de l’accusation qui est portée contre lui.

Nous ne devons pas être complices d’une opération politique réactionnaire qui prétend mettre Lula en prison tandis que les chefs des partis financés par les grandes entreprises restent protégés pour garantir que Michel Temer puisse continuer à gouverner.

Ceux qui doivent juger Lula pour ses crimes politiques sont les travailleurs, la jeunesse et le peuple. Et nous ne voulons pas attendre la victoire de la révolution brésilienne pour ce jugement. Ceux qui ont été l’opposition de gauche au lulisme doivent combattre pour que le lulisme soit jugé à partir de maintenant dans les organisations, dans les luttes et lors des élections. C’est ainsi qu’on pourra ouvrir le chemin pour surmonter les illusions dans le lulisme. Lula mis en prison par la justice de cet Etat ne va pas mettre le lulisme en déroute, au contraire, cela le renforcera, en interrompant l’expérience.

Etre en faveur de l’acceptation des accusations lancées par le juge Sergio Moro est une capitulation devant le gouvernement Temer, parce que c’est le pas qui suit afin d’essayer de légitimer la destitution de Dilma Rousseff.

Ce ne fut pas la frustration, la perplexité, ou l’indifférence des réactionnaires à l’égard du gouvernement Dilma Rousseff qui ont ouvert la voie à sa destitution. Temer est arrivé au pouvoir à la suite d’une campagne réactionnaire qui a conduit des millions de gens aisés à descendre dans la rue et qui a uni la bourgeoisie autour d’un programme de choc néolibéral.

Le juge de Curitiba [Sergio Moro] pourra même décider de détention provisoire pour Lula.

Ceux qui au sein de la gauche ne s’opposeront pas à cet arbitraire, bien qu’ils demandent, depuis des années, la détention pour Aécio Neves et Renan Calheiros[2], resteront pour toujours couverts de honte. (Article publié sur le site esquerdaonline.com.br, le 22 septembre 2016; traduction A l’Encontre)

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Valerio Arcary est militant marxiste révolutionnaire. Professeur à la retraite de l’Institut Fédéral d’Education, Science et Technologie de São Paulo. Son dernier ouvrage est O Martelo Da Historia. Ensaios sobre a urgência da revolucâo contemporânea (Le marteau de l’histoire. Essais sur l’urgence de la révolution contemporaine), Editorial Sundermann, São Paulo, 2016.

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[1] Le taux Selic est le taux d’intérêt de référence de la Banque centrale du Brésil.

[2] Aécio Neves fut le candidat du Parti de la social-démocratie brésilienne aux élections présidentielles de 2014 battu par Dilma Roussef.
Renan Calheiros est le président du Sénat du Brésil. Il appartient au Parti du Mouvement démocratique brésilien (PMDB), le parti du nouveau président Michel Temer. Il est un des accusés de l’opération Lava Jato.

 

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