Brésil. La mortalité infantile au Brésil augmente pour la première fois depuis 1990. Poussée vers l’émigration

Par Andrés Alsina

Alors que Michel Temer (président) continue à couper dans les budgets, le Brésil s’enfonce plus encore dans la crise. La création de postes de travail est en diminution, la mortalité infantile augmente pour la première fois depuis 1990, et 62% des Brésiliens de plus de 17 ans voudraient émigrer. Pour ce second semestre 2018, les élections viennent s’ajouter comme un élément d’instabilité additionnelle: «En raison de l’indécision politique, les élections vont générer plus d’incertitude dans la consommation, sans qu’il existe aucun espoir qu’un candidat ou l’autre puisse reprendre en main l’économie et faire les réformes nécessaires», a déclaré Luís Augusto Ildefonso, président de l’Association des commerçants des centres commerciaux (Alshop), au quotidien Folha de São Paulo.

Dilma Rousseff a été suspendue de sa fonction présidentielle en mai 2016 et mise en examen trois mois plus tard. Cela a aggravé une situation déjà fragile en sapant la confiance dans le fonctionnement de l’économie, et l’occasion a alors été saisie par Michel Temer pour se mettre à couper dans les budgets ou à les geler, imposant ainsi récession et recul des prestations sociales. La directrice du Département des maladies non contagieuses et d’analyses du Ministère de la santé, Fatima Marinho, prédit une détérioration croissante de la situation, en avançant des chiffres encore plus graves que ceux que nous connaissons. «Actuellement, nous n’avançons déjà plus, mais nous reculons. Si cette tendance se poursuit, nous aurons rapidement perdu tout ce que nous avons gagné en 15 ans

Les chiffres analysés par la Folha de São Paulo montrent que depuis le début des années 1990, le Brésil enregistrait une réduction annuelle moyenne de sa mortalité de 4,9%, un résultat se situant au-dessus de la moyenne globale de réduction, estimée par l’UNICEF à 3,2% en 2017. Mais déjà au cours de la première année de présidence de Michel Temer, le taux de mortalité fut de 14 morts pour 1000 naissances, ce qui constituait une augmentation approximative de 5% en comparaison avec l’année précédente, année qui présentait d’ailleurs des chiffres similaires à ceux enregistrés au cours des années 2013 et 2014.

L’augmentation du taux de mortalité infantile est associée par le Ministère de la santé à l’épidémie du virus Zika et à la crise économique, qui cause une perte de revenus dans les familles. Il y a une chute de 5% de la natalité, due au fait que de nombreuses mères font en sorte d’éviter une grossesse par crainte du virus. Quant à la récession, elle serait responsable de morts infantiles évitables, causées par des maux parfaitement curables tels que la diarrhée (qui a augmenté de 12% en tant que cause de mort parmi les moins de cinq ans et dont 19% s’est produite dans des régions semi-arides) et la pneumonie. Tout cela se joue dans le cadre du blocage de programmes sociaux et des coupes budgétaires dans le système public de santé. La directrice de la Fondation Abrinq de São Paulo, Denise Cesario, affirme qu’avec la crise économique c’est dans les années qui viennent que ces chiffres très significatifs déploieront leurs effets funestes.

La mortalité infantile (celle qui survient au cours de la première année de vie) est un des indicateurs clés permettant de mesurer le développement d’un pays. Le Brésil avait été loué pour ses succès dans la mise en place des Objectifs de développement pour le Millénaire fixés par les Nations Unies. Une étude de 2010, publiée dans l’American Journal of Public Health, parlait des «avancées rapides dans la santé maternelle, néonatale et infantile» observées au Brésil. La combinaison entre croissance économique et réduction de la pauvreté avait produit, grâce à des programmes fondamentaux du gouvernement tels que la «Bourse famille», un transfert effectif vers des familles qui permettait à celles-ci d’envoyer leurs enfants à l’école et de veiller à ce qu’ils aient reçu tous les vaccins nécessaires.

Le secrétaire exécutif du Conseil national des secrétariats à la santé et ex-secrétaire à la santé de l’Etat du Ceará [nord-est du Brésil], Jurandi Frutuoso, a rendu compte du fait que seulement la moitié des dépenses de santé provenait actuellement au Brésil de fonds étatiques, le reste provenant d’assurances privées et d’argent personnel; tout cela dans un système de santé publique devant faire face à la croissance de la population, aux avancées technologiques et à l’augmentation des coûts médicaux…

Le gouvernement prétend que tout cela est dû aux effets des huit jours de grève nationale des camionneurs, une grève qui a duré jusqu’à la fin du mois de mai de cette année. L’économie avait chuté durant ce mois de 3,8% de plus qu’en avril, faisant de ce mois le pire depuis 2011, lorsque la production industrielle était tombée au niveau de 2003. On avance aussi le chiffre de 1000 millions de dollars de pertes effectives dues à la paralysie des transports par camions (poids lourds) et une chute de 3% dans les exportations. «Notre sentiment est à la frustration», dit José Velloso, le président exécutif de l’Association brésilienne de l’Industrie des machines et des équipements.

Le prochain gouvernement, quel qu’il soit, devra prendre en charge un héritage lourd. Entre des projets qui se concoctent au dernier moment au Congrès et les mesures de réduction des dépenses que l’équipe économique n’est pas parvenue à faire approuver, le plus probable est qu’un déficit de 68’000 millions de reais (17’600 millions de dollars) soit légué au prochain président. Ce chiffre dépasse les 45’000 millions de reais (11’600 millions de dollars) que le gouvernement fédéral dépense chaque année dans l’administration publique. En plus de directives législatives qui impliquent une chute significative de la levée d’impôts, il y a aussi une accumulation des dépenses pour le gouvernement et qu’il n’a pas eu la force politique de révoquer, comme le réajustement salarial pour les fonctionnaires publics.

Une conséquence directe de la situation est que le Brésil crée actuellement moins du 70% des emplois prévus. Cela constitue une interruption du processus d’amélioration graduelle de l’emploi formel qui avait été expérimenté au cours de l’année passée. Au début de 2018, le nombre d’emplois sur le marché du travail qualifié devait atteindre cette année environ 750’000. Depuis mars cependant, la décélération a été si brusque que, en maintenant le rythme enregistré à partir de ce mois, le marché du travail pourrait finir l’année 2018 avec un solde net de seulement 220’000 nouveaux emplois enregistrés.

La perception de la détérioration de la situation économique du pays s’est étendue parmi les Brésiliens. Pour 72% de la population, la situation a empiré ces derniers mois, alors que seuls 6% des gens voient une amélioration, selon une enquête de Datafolha. Ce sont les chiffres les plus négatifs depuis février 2016, lorsqu’on vivait déjà une profonde récession. Dans le sondage antérieur, en avril 2018, il y avait 52% de Brésiliens qui regardaient avec pessimisme l’évolution de la conjoncture. La hausse du taux de change du dollar a été accentuée dans le pays par les doutes sur la stabilité budgétaire et les élections présidentielles. De plus, la grève des camionneurs a montré la faiblesse du gouvernement (il a dû recourir aux forces armées pour éliminer 132 barrages sur les routes) et cela a conduit à de nouvelles dépenses publiques. 49% des personnes interrogées disent avoir déjà vécu un recul de leur situation et pour 32% la situation économique s’aggravera encore dans les prochains mois.

La Fondation Getulio Vargas (FGV) de son côté découvre que le scepticisme règne en ce qui concerne la reprise de l’économie brésilienne. En juin 2018, six indicateurs de confiance de la FGV sont tombés, ce qui a contribué à la fabrication de l’argument sur la responsabilité que porterait la grève des camionneurs. Si les reculs ont en effet été encore plus abrupts en juin, plus grave est le fait que la péjoration soit intervenue avant l’affaire des camionneurs. Les indices ont montré une timide amélioration qui paraissait consistante entre la fin de 2017 et le début de 2018, mais ils sont à nouveau retombés entre mars et avril. Les indicateurs de confiance de la FGV sondent les états d’âme de l’industrie et du commerce, des services et de la construction civile, ainsi que celle des entrepreneurs et des consommateurs.

Rien ne semble avoir été plus affecté que la confiance des consommateurs, selon ce qu’affirme la FGV. La dégringolade a été de presque cinq points au mois de juin, la plus accentuée depuis février 2015. La confiance dans le secteur de la construction est également préoccupante, parce qu’en plus du fait qu’il stagne, il se trouve très au-dessous du niveau neutre. Ce qui plombe le secteur, c’est le manque de ressources mises à disposition par le gouvernement pour mener à terme les travaux, mais aussi les difficultés par lesquelles passent les entreprises mêlées à l’Opération Lava Jato ainsi que le faible développement du marché résidentiel. En conséquence, la Banque centrale a recalculé à la baisse les prévisions de croissance économique, de 2,5% à 1,6%.

La défiance des consommateurs s’exprime avec force parmi les jeunes. S’ils le pouvaient, 62% d’entre eux quitteraient le pays. Cela implique que la population des Etats de São Paulo, de Rio et de Paraná disparaîtrait du Brésil. Cela représente environ 70 millions de Brésiliens de plus de 16 ans qui quitteraient le Brésil s’ils le pouvaient, selon ce que montre une enquête de l’Institut Datafolha.

Selon ce sondage, réalisé le mois passé sur l’ensemble du territoire national, on voit que 43% de la population a manifesté son désir de sortir du pays, mais que le chiffre atteint 62% parmi les sondés âgés de 16 à 24 ans. Ce sont donc au moins 19 millions de jeunes qui abandonneraient le Brésil, l’équivalent de toute la population de l’Etat de Minas Gerais. L’exode ne se voit pas seulement dans les intentions. Le nombre de visas pour les Etats-Unis a atteint 3366 en 2017, le double de l’année 2008, celle du début de la crise globale. Le pays préféré de ceux et celles qui voudraient déménager est les Etats-Unis. Cependant il y a aussi ceux qui sont attirés par la langue, comme le montre l’augmentation des demandes pour la nationalité portugaise. Ce ne sont pas moins de 50’000 visas que le consulat du Portugal à São Paulo a expédiés depuis 2016. Dans la même période, le nombre de visas pour des étudiants, des chefs d’entreprise et retraité·e·s cherchant à établir leur résidence dans le pays ibérique a doublé. Ceux qui veulent partir sont non seulement jeunes, mais ils ont une bonne formation: 56% ont un niveau d’étude supérieur. (Article publié dans La Diaria, 21 juillet 2018; traduction A l’Encontre)

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