Brésil. Il est nécessaire d’élever un mur contre le fascisme

Editorial de Esquerda online

Le dimanche 21 octobre 2018 fut un jour de haine. Dans les manifestations de rue, Jair Bolsonaro et les principaux dirigeants d’extrême droite ont aiguisé le ton de leurs discours. Ils ne cachent plus ce qui arrivera s’ils gagnent. Les menaces sont particulièrement dirigées contre la gauche. Les organisations, les partis et les mouvements sociaux sont ouvertement menacés de criminalisation, de persécution, d’arrestation et même d’élimination physique, par un éventuel gouvernement dirigé par ce capitaine fasciste.

La vidéo de Bolsonaro, diffusée en direct pour la démonstration de l’Avenida Paulista [la principale avenue de São Paulo, symbole de la force de la bourgeoisie pauliste et brésilienne], fait sens par ses slogans: «Partez ou vous irez en prison»; «Ces marginaux rouges seront expulsés de notre patrie»; «Le nettoyage sera maintenant beaucoup ample». Ont été directement attaqués les mouvements sociaux, les occupations en ville par des habitants expulsés de leurs logements [occupations organisées, entre autres, par le Mouvement des travailleurs sans toit – MTST] et les occupations de terre dans les zones rurales (MST- Mouvement des sans terre). «Bandits du MST, bandits du MTST, vos actions seront qualifiées comme relevant du terrorisme. A également été attaqué l’ancien président Lula: «Il va pourrir en prison». Ont été menacés d’incarcération des militants du PT (Parti des travailleurs), comme Lindbergh Farias, sénateur de l’Etat de Rio de Janeiro (PT), dont le mandat commença en 2011 [il ne fut pas réélu, en octobre 2018, à ce poste, arrivant en quatrième position; il était accusé de corruption dans le Lava Jato. Dilma Rousseff aussi n’a pas été élue comme sénatrice dans l’Etat du Minais Gerais]. De même a été inquiété l’adversaire direct de Bolsonaro à la présidentielle: Fernando Haddad (PT).

Conjointement à l’exacerbation de la tonalité des discours de haine, les cas d’agressions dans les rues se multiplient, atteignant déjà plus de 120 personnes. Trois ont été tuées: une travestie, une transsexuelle et un Noir. Les gens sont attaqués et poursuivis uniquement pour porter des autocollants [indiquant le vote 13 pour Haddad]. Et les femmes, les LGBT, les hommes et femmes noirs ont été les cibles prioritaires de la violence politique, dont est responsable le discours de haine du candidat Bolsonaro.

Bolsonaro n’a aucun moyen de nier ou de relativiser son propre discours, comme il le fait à l’occasion des discours de ses alliés ou face à la violence de ses partisans. Ce qu’il prononce, il le fait «pour de vrai». Il a le contrôle sur ce qu’il dit et fait.

Le candidat au poste de dictateur semble suivre les recommandations d’Olavo de Carvalho [idéologue, âgé de 71 ans, fort offensifs sur divers thèmes] qui incite Bolsonaro à profiter au plus vite [après la victoire électorale] de la situation pour «éliminer la gauche». Les déclarations contre le MTST et le MST, les agressions contre l’UNE (Union nationale des étudiant·e·s) et les syndicats ainsi que l’intention de nommer des nouveaux recteurs des universités annoncent quelles seront les premières cibles, afin d’attaquer la résistance à ce nouveau pouvoir.

La dictature plus jamais

Une vidéo du député fédéral Eduardo Bolsonaro (Parti social libéral -São Paulo, fils de Jair Bolsonaro) a été rendue publique. Elle affirme également qu’il serait facile de mettre fin à la Cour suprême fédérale (STF) dans l’hypothèse d’une cassation de la candidature de son père [recours en cassation déposé contre Jair Bolsonaro à cause de l’utilisation massive d’infox et de calomnies visant F. Haddad]. Selon le député réélu, il suffirait: «d’envoyer un caporal et un soldat» pour boucler la principale cour de justice du pays. «Prenez le pouvoir de la plume d’un ministre de la STF, qu’est-il, lui, dans la rue?» «Si vous arrêtez un membre de la STF, pensez-vous qu’il y aura une manifestation populaire?», a-t-il demandé.

Dans les jours qui ont suivi, nous avons assisté à des déclarations de ministres du STF, de politiciens bourgeois et du TSE (Tribunal suprême électoral) lui-même condamnant la vidéo à caractère «golpiste» (coup d’Etat). Toutefois, aucune mesure concrète n’a encore été prise à l’encontre du député Eduardo Bolsonaro. Il est inacceptable que le député, fils du principal candidat au scrutin, menace ainsi les membres de la Cour suprême.

Tous ces signes renforcent le sens de la menace que serait un gouvernement Bolsonaro pour les droits et garanties démocratiques et les libertés en général. Ce ne sont pas seulement des attaques contre la gauche et le mouvement social organisé, mais contre toutes les institutions et tous les secteurs qui ne sont pas totalement alignés sur ses mesures. Les attaques contre la presse se sont multipliées, pas uniquement contre les médias qui ont adopté une position en faveur les droits humains et des travailleurs comme des travailleuses, tels que Intercept et Brasil de Fato. Folha de São Paulo et Globo sont également des cibles. Au-delà de la menace d’utiliser des annonces publicitaires [Bolsonaro a déclaré que les annonces publiques seraient placées dans les médias de manière politiquement sélective] pour favoriser ses alliés, nous serions confrontés à des menaces encore plus grandes portant sur la liberté de la presse, avec la censure, la persécution des journalistes et même l’interdiction de certains médias.

Bolsonaro veut d’amples pouvoirs

Les médias n’avaient aucune raison pour participer activement à la destitution de Dilma Rousseff (en août 2016). Et le STF (à la quasi-unanimité) avait, par la suite, légitimé ce coup d’État institutionnel, et validé l’arrestation de Lula (incarcéré à Curitiba depuis avril 2018) et, par la suite, de légiférer en faveur d’une sous-traitance sans restriction (qui limite à l’extrême les droits des salarié·e·s). Après avoir libéré les forces néofascistes, le serpent se retourne maintenant pour les mordre.

Bolsonaro veut un type de gouvernement différent, doté de pouvoirs étendus, sans opposition. Pour mieux contrôler la Justice, il étudie la possibilité de doubler le nombre des membres nommés à la Cour suprême, cela afin d’obtenir une majorité des voix dans tous les cas.

Un gouvernement Bolsonaro serait directement basé sur les forces armées et la police civile et militaire qui, toutes, disposeraient d’un «soutien juridique pour appliquer la loi dans votre dos». C’est-à-dire un vaste appareil prêt à attaquer les organisations sociales et de gauche et à réprimer la classe ouvrière si elle résiste et tend à rompre avec son projet. A cela s’ajoutera l’augmentation du nombre de meurtres et d’emprisonnements de jeunes hommes et femmes noirs

Il n’aura pas à fermer le Congrès, comme ce fut le cas lors de l’an 5 de la dictature militaire. La coalition conservatrice, qui est présentée comme une «nouvelle classe politique», dispose d’assez des voix pour approuver y compris les changements à la constitution.

Le gouvernement aura déjà le soutien de la chaîne de TV Record, aux mains d’Edir Macedo [le pasteur évangéliste et surtout homme d’affaires], de la vaste structure utilisée dans les réseaux sociaux lors de cette campagne pour la distribution de fausses nouvelles (infox). Sans exclure la possibilité d’accords avec Globo et d’autres importants groupes de médias qui, il est toujours bon de s’en souvenir, ont soutenu la dictature militaire.

Un gouvernement Bolsonaro sera avant tout un gouvernement de grands hommes d’affaires et de banquiers, désireux d’accroître leurs droits qui, pour la plupart, ont déjà été adoptés – publiquement ou de manière discrète – lors de la campagne. Il aura le soutien des transnationales et de l’impérialisme américain, en vue d’une solution de force au Venezuela et du contrôle du pétrole des deux pays.

Elections dans une ambiance de coup d’Etat

L’impunité ne réside pas seulement dans les menaces qui pèsent sur la Cour suprême. Le quotidien Folha de São Paulo a dénoncé le scandale de l’achat, grâce à des millions de dollars, de paquets de d’adresses de messagerie WhatsApp utilisées pour diffamer le candidat du PT durant la dernière semaine du premier tour (avant le 7 octobre 2018).

Ces paquets de messages ont été achetés par de grandes entreprises pour participer à la sordide campagne de Bolsonaro et n’ont même pas été déclarés. C’est un triple crime. Tout d’abord, il est interdit aux entreprises de contribuer financièrement aux campagnes. Ensuite, ce n’était pas une dépense déclarée par la campagne. Enfin, il s’agit de la propagation de mensonges et de calomnies certifiés. Le TSE a officiellement ouvert une enquête, mais ne prendra apparemment aucune mesure concrète. Un scandale.

Au chapitre d’une élection extrêmement antidémocratique, avec l’emprisonnement politique de Lula et l’annulation de sa candidature, s’ajoute l’inégalité entre les partis. Il s’agit d’une élection dans une ambiance de coup d’Etat, dans une phase d’offensive de la bourgeoisie contre les droits et les libertés démocratiques ainsi que contre la résistance des travailleurs, des travailleuses, des jeunes et des opprimé·e·s.

La contestation par les actes

Samedi 20 octobre, des manifestations de défense des droits sociaux et civiques, de la démocratie et de la vie femmes ont eu lieu dans une cinquantaine de villes. Les manifestations s’inscrivent dans la continuité du mouvement «Ele Não» qui a mobilisé environ un million de personnes dans les rues du Brésil le 29 septembre. Ce samedi 20 octobre a aussi été marqué par l’appel à voter, lors du second tour (le 28 octobre). pour Fernando Haddad (PT), candidat du Front démocratique.

Bien que moins nombreux que le 29 septembre, les manifestant·e·s ont démontré leur force en rassemblant des centaines de milliers de personnes dans les rues. Le lendemain, des partisans de Bolsonaro ont organisé des manifestations dans 19 villes. Ils ont réuni beaucoup de personnes, en particulier à São Paulo, mais ils étaient moins nombreux, à l’échelle nationale, par comparaison aux manifestations de la veille.

Unité pour se battre contre le vote Bolsonaro et front unique contre le fascisme

Les manifestations démontrent la force accumulée par les différents mouvements sociaux pour faire face aux attaques qui vont arriver, quels que soient les résultats du dimanche 28 octobre. Une chose est claire: il y aura une résistance organisée et dans les rues. Elle sera forte.

Manuel d’Avila et Fernando Haddad, le ticket du PT

Il n’y a pas de raccourcis possibles. Pour commencer, nous devons nous mobiliser avec encore plus de force dans cette dernière étape de la campagne du deuxième tour. Lutter jusqu’au bout pour élire Fernando Haddad et Manuela d’Avila et battre les candidats de Bolsonaro aux postes de gouverneur des États. Chaque vote compte. Chaque personne que nous convainquons est une étape dans la lutte contre le fascisme. Notre campagne consiste à éviter l’élection de Bolsonaro et à faire échec à son projet néofasciste lors des élections, mais également à renforcer les forces pour les luttes que nous devrons mener dans un proche avenir.

Peu de temps après le résultat, nous devons immédiatement suivre et renforcer notre organisation afin de défendre nos droits et libertés démocratiques. L’unité et le front unique que nous avons conquis lors du mouvement «Femmes contre Bolsonaro» doivent être maintenus et intensifiés.

Nous devons construire immédiatement et dans tout le pays un Front unique antifasciste, défenseur des droits sociaux et civiques et de la démocratie, ouvert à toutes les organisations et à tous les mouvements. Ce front doit organiser des actions unifiées de notre mouvement, construites avec tous les secteurs démocratiques de notre pays et du monde. Le dernier mot viendra de la rue! (Editorial, publié le 23 octobre 2018, sur le site Esquerda. online; ce site est animé par le MAIS, – Mouvement pour une alternative indépendante et socialiste – courant constitutif du PSOL; traduction A l’Encontre)

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Résultat à l’échelle du Brésil du sondage IBOPE, intentions de votes effectifs (sans les nuls, les blancs et les «ne sais pas»). Evolution du 15 octobre au 23 octobre 2018

 

Quelques indications de sondages sur les intentions de vote, par Etat, pour le deuxième tour de la présidentielle (IBOPE – effectué entre le 20 et 23 octobre)

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