Brésil. Comprendre les racines d’un régime autoritaire: une des conditions pour organiser une résistance

Sergio Moro et Jair Messias Bolsonaro

Par Rodrigo Claudio

Nous publions ci-dessous la traduction de l’intervention de Rodrigo Claudio à Lausanne le 21 novembre, membre de la direction du PSOL et un des animateurs de la campagne électorale du front rassemblant diverses forces politiques et sociales qui soutenaient la candidature de Guilherme Boulos. Nous publions la totalité de son intervention, car suite à un problème technique, la traduction simultanée n’a pas pu être assurée et il a dû réduire le format de son intervention. Nous ferons de même avec l’intervention de la camarade Sonia Lucio. (Réd. A l’Encontre)

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Bonsoir à toutes et à tous!

Je souhaite, tout d’abord, adresser mes remerciements aux organisateurs au nom de Resistência – tendance du PSOL – pour l’invitation à ces débats en Suisse, Italie, Espagne et en France. En particulier, je remercie les camarades du Mouvement pour le socialisme et Charles-André Udry. Une telle invitation est très importante car la construction d’un réseau international de solidarité et de soutien est décisive en ce moment difficile que traverse la gauche socialiste brésilienne ainsi que, en particulier, notre peuple. Nous savons que nous pouvons compter sur votre soutien pour condamner le gouvernement Bolsonaro ainsi que pour la solidarité face à des scénarios plus difficiles.

• Je vais commencer cet exposé-débat avec la question suivante: pourquoi Bolsonaro est-il arrivé au pouvoir? Pourquoi un député à la carrière médiocre, qui a fait adopter à peine deux projets de lois pendant les 28 années au cours desquelles il fut parlementaire, a vu sa popularité exploser depuis 2015 et s’est transformé en un phénomène électoral de masse avant de remporter les élections présidentielles le 28 octobre?

Le Brésil a été le théâtre d’une montée des grèves et des révoltes populaires entre 2011 et 2013, combinée à un record de grèves pour des augmentations salariales ainsi qu’une grande journée de lutte en juin 2013, au cours de laquelle des millions de jeunes sont descendus dans la rue pour défendre leurs droits (entre autres celui de transports gratuits). Mais il y a eu au Brésil, par la suite, un virage dans la lutte de classes, dont on pouvait déjà constater en 2014 déjà les premiers éléments lors de la fermeture du cycle de luttes de juin [2013], ainsi que la bipolarisation électorale entre Dilma Rousseff (candidate du Parti des travailleurs, PT) et Aécio Neves (candidat du Parti de la social-démocratie brésilienne, PSDB) lors des élections d’octobre 2014.

Une explication est ici requise: le PSDB, indépendamment de son nom, ne correspond pas à la social-démocratie européenne, en d’autres termes à un gauche réformiste. Cela en raison de l’arriération politique brésilienne et du retard de la formation de la représentation politique de la bourgeoisie et du prolétariat. Le PSDB est le parti de la bourgeoisie traditionnelle et le PT remplit de facto le rôle de la social-démocratie (au sens d’une représentation des classes laborieuses lors de sa création et des évolutions qui ont suivi).

Reprenons le fil de la discussion: en 2015 s’est produit un saut qualitatif dans ce tournant de la lutte de classes, ouvrant la voie à une offensive de la bourgeoise contre les masses laborieuses. On peut dater ce saut qualitatif en se référant aux mobilisations réactionnaires de mars 2015, lorsque des millions de personnes sont descendues dans les rues des grandes capitales des États du Brésil exigeant l’impeachment [destitution] de Dilma Rousseff alors qu’elle venait juste de commencer, en janvier, son deuxième mandat. Ces mobilisations étaient majoritairement composées de membres des classes moyennes urbaines les plus aisées ainsi que par la petite bourgeoisie.

• Il convient de faire quatre observations préliminaires pour le débat afin de comprendre le caractère réactionnaire des mobilisations:

Une première observation porte sur les classes moyennes du Brésil. Celles-ci ont un caractère double, elles sont à la fois opprimées et oppresseuses. Dans un pays comme le Brésil, où les énormes inégalités sociales sont une caractéristique centrale de notre formation sociale, les secteurs dits des classes moyennes de la société vivent dans les grandes villes d’une manière beaucoup plus proche (proximité des quartiers avec une auto-construction méritocratique) de la bourgeoisie que de la classe laborieuse. En ce sens, des fractions importantes des classes moyennes jouissent de privilèges. Il suffisait de regarder les grandes mobilisations de 2015 et de 2016 pour constater l’absence de Noirs, qui forment pourtant un secteur décisif de la société.

Les classes moyennes brésiliennes sont sous la pression de la hausse des prix des services: du coût de la santé, de l’école ou des études privées de ses enfants, de l’impossibilité de voyager pendant les vacances en dehors du pays. Elles ont eu des difficultés à maintenir les conditions de vie qu’elles avaient conquises auparavant. Cela a engendré une forte rancœur sociale, qui s’est cristallisée en opposition contre le PT, sous une forme réactionnaire. C’est ce que l’on a appelé «l’antipétisme», mobilisant une haine dirigée contre les petites réformes engagées par le gouvernement du PT telles que les quotas «raciaux» (discrimination positive, plus exactement action positive) dans les universités publiques ou les programmes sociaux, parmi lesquels comme la «Bolsa familia», pour n’en mentionner qu’une.

Le déplacement politico-social des classes moyennes les plus aisées a nourri la grande vague d’extrême-droite lors du coup parlementaire de 2015-2016 [destitution de Dilma Rousseff en août 2016] ainsi que lors des élections de 2018. Cela est à l’origine d’un tremblement de terre du système politico-partisan: c’est-à-dire une crise de la représentation politique bourgeoise traditionnelle. Le mouvement réactionnaire des classes moyennes – la base socio-politique du néofascisme brésilien – est relativement autonome par rapport à la classe dominante, même s’il sert les intérêts de la domination bourgeoise.

Une seconde observation porte sur le rôle de l’opération Lava jato [opération main propre, contre la corruption, pilotée par Sergio Moro]: il n’y aurait pas eu de coup parlementaire en août 2016 ni de victoire de Bolsonaro le 28 octobre sans l’opération juridico-politique et médiatique qu’a été Lava jato. L’objectif de l’opération était de renverser Dilma Rousseff et, plus important, d’empêcher que Lula soit candidat à la présidentielle de 2018. Elle a eu donc un rôle décisif dans l’évolution négative de la lutte des classes au Brésil.

Cette opération, par le biais du récit visant à faire de la corruption le plus grand problème prioritaire du Brésil, est parvenue à mobiliser les classes moyennes et la petite bourgeoisie. Sur cette base, elle a exercé une grande influence sur des fractions importantes du prolétariat des régions du Sud-est et du Sud du Brésil. Lava jato est également le cadre dans lequel se meut la bonapartisation du régime politique brésilien, dans la mesure où grâce au soutien de la bourgeoisie et des moyens de communication, des pouvoirs non élus, comme la magistrature, la police fédérale ou le ministère public en sont venues à jouer un rôle décisif sur la scène politique. Cela a également abouti à ouvrir un espace au sein duquel les forces armées jouent un nouveau rôle. Elles peuvent se prononcer publiquement sur les grands débats politiques, et y compris sur la question d’emprisonner ou non Lula [il a été incarcéré dans la prison de Curitiba dans la nuit du 7 au 8 avril]. Les forces armées occupent désormais une place inédite au sein du gouvernement Bolsonaro, plusieurs militaires occupant des postes de ministres ou de secrétariat d’Etat.

La troisième observation est que la bourgeoisie brésilienne entend mettre en avant un projet de repositionnement du pays dans le marché mondial, afin de pouvoir concurrencer dans de meilleures conditions des pays de l’Asie de Sud-Est pour attirer des investissements étrangers. Son projet passe ainsi par un ajustement structurel brutal, visant à diminuer le «coût Brésil» dans cette recherche de capitaux en vue d’un nouveau cycle de croissance. Dans un premier temps, la bourgeoisie a misé sur Dilma et le PT pour réaliser un tel ajustement, mais lorsqu’il est apparu clairement que ce dernier serait lent et graduel, ainsi que sous la pression de masses des couches moyennes urbaines, elle a tourné rapidement, en défendant le coup d’Etat parlementaire en 2015-2016 et en participant au combat contre le PT et la gauche. De ce fait, elle allait apporter son soutien à Bolsonaro lors du deuxième tour des élections de 2018.

Une quatrième observation porte sur la crise politique du prolétariat. D’un côté, le prolétariat des régions Sud et Sud-est a largement suivi les classes moyennes urbaines et la bourgeoisie, un mouvement typique dans une situation réactionnaire. De l’autre, des secteurs plus organisés de la classe laborieuse et dans le Nordeste du pays sont restés fidèles au PT, ce qui s’est exprimé par une sorte d’hégémonie (ici électorale) au sein des secteurs organisés de la classe laborieuse. En d’autres termes: ces fractions du prolétariat conservent, après des années de gouvernement PT, des illusions sur les réformes que peut engager ce parti. Le résultat est le suivant: le géant social brésilien, la classe laborieuse, composé de plus de 90 millions de personnes, est resté divisé et s’est paralysé face aux grands événements de la politique nationale, au cours de ces trois dernières années.

• Pour ces raisons, mars 2015 représente le moment clé d’un virage dans la lutte de classes au Brésil: c’est là que l’on peut repérer l’offensive de la bourgeoisie, qui dispose d’un pouvoir d’attraction auprès de fractions des classes moyennes urbaines et de la petite bourgeoisie (ancienne et nouvelle en termes professionnels).

Ces grandes manifestations anti-Dilma et anti-PT vont de mars 2015 à septembre 2016. Elles se font en coexistence organisée avec les défenseurs de la dictature militaire, c’est-à-dire d’une nouvelle droite – en particulier par le truchement de mouvements comme le Mouvement Brésil libre –, qui rallie des politiciens de partis bourgeois traditionnels du PSDB, le MDB (de Temer) et des outsiders tel que Jair Bolsonaro et les cercles qui lui sont proches ou le soutiennent (les évangélistes et pentecôtistes). Tous marchent et frappent conjointement contre les gouvernements du PT. En mars 2015, il était déjà possible d’entendre des appels à l’intervention militaire [par exemple, de la part du futur vice-président Hamilton Mourao] et à mettre au centre Jair Bolsonaro, comme figure, lui qui commençait à gagner en prestige.

Le gouvernement de Michel Temer constitue, en 2016, la concrétisation du coup parlementaire contre le gouvernement de Dilma Roussef du PT. Son gouvernement lance une forte offensive réactionnaire, établissant clairement que le principal objectif du coup était celui d’un ajustement rapide visant à repositionner l’économie du Brésil dans la structure hiérarchisée du marché mondial. En peu de temps, le gouvernement est parvenu à faire adopter un amendement constitutionnel empêchant de dépasser un certain seuil de dépenses budgétaires (faisant obstacle ainsi à toute augmentation des investissements publics, indépendamment de l’inflation, pour une durée de 20 ans) ainsi qu’à lancer une contre-réforme de la législation du travail, nous renvoyant aux années 1930. Le gouvernement a aussi fait adopter la sous-traitance généralisée de la main-d’œuvre dans les entreprises, pour ne mentionner que cette attaque dirigée contre la classe laborieuse brésilienne.

Le gouvernement Temer a connu plusieurs moments. Malgré l’offensive réactionnaire, une possibilité réelle de faire tomber ce gouvernement s’est présentée lors de la fuite d’un enregistrement audio compromettant où l’on entendait Temer négocier des faveurs avec le président d’un grand groupe transnational brésilien de la viande (JBS Friboi). La combinaison de la tentative du gouvernement d’appliquer la contre-réforme de la sécurité sociale et les scandales de corruption a permis l’ouverture d’une montée des luttes. Nous avons ainsi connu la plus grande grève générale depuis la montée des luttes qui a fait tomber la dictature et au cours de laquelle le PT et la CUT ont été fondés au début des années 1980. Le rôle de la direction de la Centrale unique des travailleurs (CUT) et du Parti des travailleurs (PT) a consisté toutefois à freiner les mobilisations en cours et ils ont refusé de miser sur la possibilité de faire tomber le gouvernement Temer.

Dans ce contexte, la représentation politique traditionnelle de la bourgeoisie entre en crise. Autant le MDB (Mouvement démocratique brésilien de Michel Temer) que le PSDB (Parti de la social-démocratie brésilienne, de Fernando Henrique Cardoso) entrent dans une crise profonde. Le MDB en raison de l’usure du gouvernement Temer et le PSDB en raison du soutien qu’il a apporté à ce même gouvernement et parce que son principal dirigeant, et candidat à la présidentielle de 2014, Aécio Neves, est l’objet d’un grave scandale de corruption [en lien avec la firme géante de construction Odebrecht].

Dès cet instant, le «vide» laissé par les partis traditionnels, il était possible de voir que Bolsonaro émergeait comme un adversaire jouissant d’une force certaine. Grâce à son discours antipétiste et contre la gauche, sa défense de la dictature militaire, des tortionnaires du régime militaire, ses attaques contre les femmes, les Noirs, les LGBT… il entre en syntonie avec les sentiments les plus profondément réactionnaires de la base sociale du coup parlementaire, soit les couches moyennes urbaines et la petite bourgeoisie. En 2016-2017, il commence une tournée à travers tout le pays, organisant des milliers de personnes, connectées grâce à un puissant réseau WhatsApp. Il va passer de 400’000 à 7 millions de follwers sur Facebook, Twitter et Instagram. L’expression «mythe» apparaît pour désigner Bolsonaro, Et c’est à ce moment qu’il présente sa candidature à la présidentielle.

Bolsonaro commence ainsi à organiser un mouvement de masses néofasciste qui trouve sa concrétisation partisane lorsqu’il prend le contrôle du Parti social-libéral (PSL). Ce mouvement a, fondamentalement, pour base politique d’appui la classe moyenne et la petite bourgeoisie en colère, en raison de la crise politique, économique et sociale. Il réunit différents groupes et dirigeants néofascistes ainsi que de l’extrême droite [Bolsonaro, y compris jusqu’en juillet 2018, était sollicité par le prince Luiz Philippe d’Orléans et Bragançapour figurer sur le ticket présidentiel]. Le néofascisme en formation canalise la rage, la furie et le ressentiment de la petite bourgeoisie contre les travailleurs, les opprimé·e·s, la gauche, les mouvements sociaux et les syndicats. Son objectif est d’écraser ces derniers par le biais de la mise en place d’un régime fort placé sous un leadership charismatique. Le néofascisme se nourrit d’un nombre incalculable de survivances du régime militaire: les appareils policiers et ses liens avec le crime organisé et les milices, des prérogatives constitutionnelles des forces armées, de l’impunité des agents tortionnaires et des assassins de la dictature, pour ne mentionner que ces éléments. Le néofascisme se nourrit également de l’alliance avec les Églises évangélistes néopentecôtistes, et donc d’une forte insistance sur les thèmes dits moraux et religieux.

• Maintenant, je vais parler de la récupération relative du «lulisme» et du PT entre 2015 et 2018.

L’accord de collaboration de classes du PT a atteint son sommet entre 2003 et 2013. Bénéficiant d’une période de croissance des prix des commodities, poussée par la croissance chinoise, les gouvernements du PT ont combiné des petites réformes sociales destinées aux couches populaires et une croissance économique qui s’est traduite par des profits exorbitants pour les banquiers et divers secteurs de l’industrie nationale. Le PT n’a pas réalisé des réformes structurelles profondes et donc n’a pas modifié à la racine les inégalités sociales, ce qui aurait exigé une mobilisation de ses bases sociales. Ce qui s’est passé est exactement l’inverse. La politique du PT a consisté, en réalité, à démobiliser. En outre, pour se maintenir au pouvoir, il s’est associé à des secteurs de la bourgeoisie nationale qui tiraient profit de certains contrats [dans les infrastructures, dans le secteur pétrolier, dans l’agrobusiness, etc.] et qui, en même temps, finançaient les campagnes électorales du PT. Le PT n’a même pas engagé une enquête et des sanctions contre les crimes de la dictature, alors même que Lula a été prisonnier sous le régime militaire et que Dilma a été torturée par le régime [de 1970 à 1972].

Malgré les limites des réformes engagées par les gouvernements du PT – nous parlons du Brésil, un pays qui a connu 388 ans d’esclavage, soit la plus grande période esclavagiste moderne, qui outre des inégalités sociales gigantesques connaît de profondes inégalités régionales entre la région nord-est et sa population, os nordestinos, victimes séculaires de l’oppression régionale – les programmes sociaux des gouvernements PT ont eu un impact profond sur la vie des plus pauvres. Le programme Bolsa Família, soit l’augmentation de 205 reais des revenus des familles les plus pauvres, a eu pour effet que des Brésiliens et Brésiliennes ont eu pour la première fois des protéines dans leur régime alimentaire quotidien. Ce à quoi s’ajoute l’accroissement des universités publiques et de l’enseignement technique, ce qui a permis à des milliers de jeunes d’entrer pour la première fois dans ce qui était des espaces réservés aux fils et files de la bourgeoisie et des couches moyennes élevées. Cela explique que le prestige du PT, en particulier de Lula, est gigantesque dans cette région du pays et parmi les plus pauvres.

Ce modèle a commencé à s’effondrer en juin 2013, avant de s’amplifier avec la crise économique qui a frappé le Brésil en 2014/15. C’est à ce moment que le gouvernement de Dilma a engagé un ajustement structurel graduel sapant la base de soutien du gouvernement, au moment même où débutait l’offensive réactionnaire décrite plus haut. Au cours de cette période, le PT n’est pas parvenu à mobiliser sa base sociale et c’est la droite qui s’est approprié la rue.

Le PT a traversé une crise lors du coup d’Etat parlementaire de 2016 et suite aux élections municipales de cette même année, lorsqu’il a perdu un grand nombre de suffrages. Il parvient toutefois à regagner en partie du terrain à mesure qu’augmentent les attaques du gouvernement Temer au cours des années 2017 et 2018. C’est ce qui explique que le PT a maintenu son appui électoral dans le nordeste et qu’il a récupéré partiellement son prestige au sein du meilleur de l’avant-garde populaire après juin 2013. Malgré cette décadence historique, malgré la réorganisation partielle de la gauche brésilienne en dehors du PT (comme en témoigne la campagne de Guilherme Boulos, animateur du MTST) et malgré le fait d’avoir été défait lors du coup parlementaire, et bien que Lula soit en prison et la défaite de Haddad face à Bolsonaro, le PT est parvenu à faire élire 56 députés, 4 gouverneurs, 4 sénateurs et reste à la tête de la CUT et des mouvements sociaux. Il est vrai qu’il ne jouit plus de la même capacité de mobilisation qu’auparavant, mais il reste hégémonique au sein de la gauche brésilienne.

• Je vais maintenant parler des élections de 2018.

Les élections ont débuté avec trois hypothèses en vue du second tour:

1° Lula était à la tête des sondages jusqu’au début septembre, date à laquelle la loi a contraint Fernando Haddad à prendre sa succession. Toutefois, il était évident que Lula étant en prison et ne pouvant se présenter suite à une décision judiciaire, il passerait le témoin de la candidature à un autre membre du PT. Le PT misait ainsi sur un transfert de voix de Lula à Haddad, qui est une marque de fabrique de la politique du pays (Lula a fait élire Dilma, le «plan real» a fait élire Fernando Henrique, le PT misait ainsi que le soutien à Lula pourrait conduire à ce que n’importe quel nom d’un membre du PT puisse l’emporter au second tour).

2° Bolsonaro avoisinait dans tous les sondages 20% des intentions de vote, jouissant d’un électorat fidèle, capitalisant ainsi sur la crise de la représentation politique de la bourgeoisie et sur l’antipétisme des classes moyennes les plus aisées.

3° Geraldo Alckmin du PSDB, le candidat favori de la bourgeoisie brésilienne, parvint à réaliser une grande coalition de parti, la plus grande part du temps d’audience à la télévision, mais dès les premières enquêtes d’opinion, il stagne autour de 5 à 8% des intentions de vote.

Le 6 septembre, Bolsonaro est poignardé, un événement qui fait du candidat une victime. La semaine suivante, le PT remplace Lula par Haddad, qui accroît rapidement les intentions de vote en sa faveur. Mais Bolsonaro passe dix jours, suite au coup de poignard, sans recevoir une seule critique des autres candidats. Et il commence à engranger les soutiens des secteurs conservateurs des Eglises protestantes. A mesure que croît l’audience du candidat du PT, Bolsonaro est progressivement vu comme le candidat qui surfe sur l’antipétisme et son audience croît en parallèle, parvenant à la fin du processus électoral à un tel résultat qu’il n’a pas été loin d’emporter les élections dès le premier tour [46,2% des voix].

Au deuxième tour, on assiste à une belle campagne, au sein de laquelle se détache le rôle joué par le PSOL et son candidat Guilherme Boulos, apportant leur soutien à la candidature de Fernando Haddad. Cette campagne a réuni des activistes indépendants, diffusant leur propre matériel, spontanément, au sein d’un important mouvement. Mais il n’a pas suffi: Bolsonaro a remporté les élections avec 55% des suffrages valides [c’est-à-dire sans les nuls, les blancs, auxquels s’ajoutent les abstentions, soit un total de 40 millions d’électrices et d’électeurs], soit près de 57 millions de voix.

• Que sera le gouvernement Bolsonaro?

Il s’agit d’un gouvernement autoritaire, dirigé par un néofasciste. Le gouvernement dispose d’une forte présence et d’un grand appui de l’armée (les ministères contrôlés par des généraux représentent 70% du budget fédéral). Le gouvernement élu a intégré les figures de l’opération Lava jato, emmenant avec eux une fraction importante du pouvoir judiciaire. Sergio Moro, en tant que ministre de la Justice et de la Sécurité publique, symbolise cette alliance du bolsonarisme et d’une partie du pouvoir judiciaire. Les secteurs patronaux nationaux occupent une place importante dans le gouvernement, comme en témoignent la présence de l’agrobusiness, de l’industrie des armes et celle des hommes d’affaires à la tête des Eglises protestantes. Le capital financier prédomine: le plan économique du «superministre» Paulo Guedes vise à mettre en place un programme ultralibéral en faveur de l’économie, comprenant des privatisations [qui doivent encore être définies] et une réforme de la sécurité sociale. Le soutien parlementaire repose sur les néofascistes, les militaires et les secteurs patronaux. En ce moment, le gouvernement élu compte sur un large soutien de la bourgeoisie, des classes moyennes ainsi que de secteurs de la classe laborieuse au Sud et au Sud-est. Le gouvernement va entrer en action, le 1er janvier 2019, en position de force, mais il agira, pour le moins dans un premier temps, dans un contexte de crise économique et sociale.

Pour ce qui a trait du régime, nous identifions une transition d’un régime démocratique bourgeois vers un régime semi-bonapartiste ou autoritaire.

• Qu’est-ce que cela signifie ?

1° Que le pouvoir exécutif s’est renforcé, protégé par de larges fractions des classes moyennes urbanisées, les forces armées et le pouvoir judiciaire;

2° Que les forces armées et judiciaires disposent d’un pouvoir accru dans les relations institutionnelles, réduisant ou limitant la place du législatif dans le régime;

3° Que s’annonce un saut qualitatif dans la répression sociale et politique, la criminalisation des mouvements sociaux et de la gauche, ciblant leurs dirigeants. Bolsonaro a déjà promis de mettre en prison Guilherme Boulos, les directions du PT, du PSOL, du MST et du MTST. Il est important de souligner que le PSOL a connu une première victime de la violence politique au Brésil, avec l’assassinat le 14 mars 2018 de la conseillère municipale de Rio, Marielle Franco.

• Les relations internationales de Bolsonaro

Se dessine un alignement avec Trump et son aile nationale-impérialiste. Bolsonaro jouera un rôle actif au sein de l’extrême droite internationale par ses liens avec Steve Bannon et aura une action contre-révolutionnaire en Amérique latine (face aux régimes en place au Venezuela, à Cuba, en Bolivie, etc.), sans mentionner les liens avec les gouvernements chilien ou colombien. Par contre, il n’est pas encore clair quelles seront ses relations avec la Chine [débouché important des secteurs miniers et de l’agrobusiness] et l’Europe. La ligne internationale du nouveau gouvernement consiste à redessiner le modèle économique d’insertion du Brésil au sein du capitalisme mondialisé, élaborant un modèle périphérique et subordonné à l’impérialisme nord-américain.

Voici quelques informations pour initier un débat.

Je vous remercie pour votre attention. (21 novembre 2018)

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