Brésil. Bolsonaro facilite le port d’armes 

Visite du candidat Bolsonaro dans l’hôpital psychiatrique (sic) de la municipalité de Jaci, dans l’Etat de Sao Paulo. Les deux sont membres du PSL

Par Anne Vigna

Les Brésiliens ont désormais le droit de posséder quatre armes à la maison ou dans leur établissement commercial. Il suffit pour cela d’avoir plus de 25 ans, un casier judiciaire vierge et de présenter un test psychologique ainsi qu’un autre d’aptitude technique. Le décret signé ce mardi par le président s’applique à tout citoyen vivant dans un État où le taux d’homicides est supérieur à 10 pour 100’000 habitants: à l’heure actuelle, cette valeur couvre tout le territoire brésilien.

Jair Bolsonaro n’a finalement pas légalisé le port d’armes et le mouvement pro-armes s’est dit«déçu par ce décret timide qui ne montre que peu d’avancées», a réagi Diego Gomes Ferreira, du mouvement «Armes pour la vie».

Mais pour les spécialistes de la sécurité, la vision est toute autre:  «Ce décret est l’un des pires actes jamais accomplis au Brésil en matière de lutte contre la criminalité, estime Rafael Alcadipani, chercheur en criminalité à la Fondation Getulio Vargas. Le cas n’est pas spécifique du Brésil, c’est la même situation dans le monde entier. Plus d’armes a toujours signifié plus de morts dans la littérature scientifique. Les suicides, les accidents domestiques avec des enfants et surtout les violences contre les femmes vont augmenter avec ce décret.»

Le ministre de la Maison civile, l’équivalent du Premier ministre, Onyx Lorenzoni, tout comme le ministre de la Justice, Sergio Moro, ont disqualifié les études sur le sujet. Pour le premier, «il est aussi dangereux pour les enfants, d’avoir une arme à la maison qu’un robot mixeur»; un commentaire qui a obligé la presse brésilienne à chercher sérieusement s’il existait des morts pour «mixeur» au Brésil. Le résultat:  «43’000 morts par armes à feu, 0 par mixeur en 2017» , a rapidement inondé les réseaux sociaux. Le ministre de la Justice a estimé, lui, que les études sont controversées et que le désarmement n’a nullement fait baisser la violence».

Mais les spécialistes calculent au contraire que la restriction imposée aux détenteurs d’armes en 2003, par l’ancien président Lula, a permis d’épargner 160’000 vies. Selon les observateurs à Brasilia, Sergio Moro n’était pas favorable à la mesure mais il l’a défendue sans présenter une seule étude sur les bénéfices de l’action en termes de sécurité. «L’espoir que certains ont mis dans la figure du juge Moro pour freiner les instincts de Bolsonaro s’éloigne . L’ancien juge n’a pas réussi à limiter le nombre d’armes permises», estime Ricardo Noblat, éditorialiste du journal O Globo [un journal très lié au grand capital et faisant partie d’un groupe de médias d’une dimension continentale].

Selon une récente étude d’opinion de l’Institut Datafolha, 61% des Brésiliens sont opposés à cette mesure. Pour éviter toute contestation, la teneur du décret avait été gardée secrète. «Nous regrettons beaucoup que le président ait opté pour modifier la législation sans aucun débat. Nous avons le sentiment que l’objectif du président était de dribbler le Congrès à travers un décret. Le nombre d’armes permises (quatre) ne répond à aucun objectif de sécurité mais à des intérêts purement économiques», considère Felippe Angeli, avocat pour l’Institut «Sou da Paz».

De fait, l’entreprise brésilienne Taurus [Forja Taurus est le principal producteur d’armes à feu au Brésil et a une filiale en Floride, un Etat où est présent un réseau important de mafieux latino-américains, pas les membres des caravanes empêchés d’entrer par Trump, ce qui en fait un manufacturier significatif aux Etats-Unis], qui détient un monopole sur le marché des revolvers au Brésil, a vu la valeur de ses actions augmenter de 89% durant les quinze premiers jours de janvier.

En 2018, elle a été l’entreprise la plus valorisée de la Bourse de São Paulo, avec une majoration de 180% de ses actions en un an. Ce mercredi 16 janvier, la valeur de l’action Taurus chutait de 20% après les déclarations du ministre de la Maison civile sur la possibilité d’ouvrir le marché brésilien aux entreprises d’armement étrangères [c’est-à-dire aux entreprises états-uniennes, étant donné les relations étroites entre Bolsonaro et Trump: libre-échange entre les deux pays; Taurus avec sa filiale en Floride exportera au Brésil ou fera une coentreprise avec un fabricant tel que Browning ou Winchester pour les «rifles»].

Le gouvernement compte aussi soutenir un projet de loi sur le port d’armes, rédigé par le groupe parlementaire «de la balle» auquel a appartenu pendant 30 ans le député Jair Bolsonaro et qui regroupe des anciens policiers et militaires.

Le nouveau décret n’est donc qu’un début et le commerce des armes devrait connaître un boom fleurissant avec 209 millions d’habitants [1]. (Article publié dans le quotidien Le Soir en date du 17 janvier 2019)

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[1] On peut interroger la référence aux 209 millions d’habitants, car les études de l’IBG indiquent que le coût d’une arme de poing de qualité est l’équivalent de 800 euros, ce qui limitera socialement l’acquisition. Certains commentaires de journaux brésiliens, depuis 2018 (El Pais, 13 janvier 2018), soulignaient que le port d’armes était particulièrement revendiqué par les riches et la formule «armas para os ricos» était couramment utilisée dans les médias. Certes, les réseaux liés au secteur de la police corrompue et à ceux de la distribution de drogue disposent d’un pouvoir d’achat pour des armes, y compris des armes de guerre. Ce qui se constate dans diverses villes, entre autres à Rio de Janeiro. (Réd. A l’Encontre)

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