Agir contre une politique favorisant l’agronégoce

Paysans et membre du MST face à la police à Rio Grande do Sul, juin 2008

Entretien de Gabriel Brito et Valéria Nader avec Marina dos Santos*

Par les temps de crise que nous vivons et face à ceux qui cherchent à empêcher l’implantation du modèle agricole tourné avers l’agronégoce, on a assisté ces derniers jours à une recrudescence des attaques menées par certains secteurs du pouvoir et des médias contre le MST (Mouvement des sans-terre) et ses revendications – revendications pourtant garanties par la Constitution de la République du Brésil elle-même, comme ne l’a pas rappelé le ministre Gilmar Mendes en parlant des occupations de terre.

Pour exposer les positions et les revendications du mouvement, le Correio da Cidadania s’est entretenu avec Marina dos Santos, coordinatrice nationale do MST. Celle-ci centre son analyse sur l’anticipation du calendrier électoral de 2010 [prendre de vitesse le PT luliste et la candidate à sa succession mise en avant par Lula: Dilma Roussef, une figure peu médiatisée] promue par la droite. Cette dernière vise à déstabiliser le gouvernement actuel de Lula, en même temps qu’elle combat toute mobilisation sociale en défense des travailleurs.

Marina dos Santos réfute l’accusation d’utilisation illicite d’aides publiques pour les occupations de terre et annonce que le mouvement continuera à combattre les politiques de financement des «entreprises responsables de la crise, comme la fabrique de carton Sotra Enzo, la fabrique de papier Veracel et d’autres, qui continuent à licencier et qui promeuvent le travail esclave, dégradent l’environnement et dépendent de l’exportation».

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Correio da Cidadania: Que veut montrer aujourd’hui le MST à l’opinion publique à travers les récentes occupations de terre dans les Etats de Pernambuco et de São Paulo, puisqu’il soutient que le grand problème qui doit être combattu c’est le modèle économique, et avant tout l’agronégoce ?

Marina dos Santos: Nous sommes dans une période  de crise où la société est en train de vivre les conséquences du modèle néolibéral tant vanté, qui a supprimé le rôle de l’Etat en privatisant des entreprises publiques, en détruisant des instruments de protection nationaux, en dérégulant, en s’attaquant aux droits des travailleurs, en générant du chômage… Les conséquences de la crise sont diverses et nous pensons que s’il n’y a pas un processus de mobilisation générale, la facture finira par être payée par l’ensemble des travailleurs et travailleuses.

C’est pourquoi nous pensons que toute mobilisation sociale – grève, actions de blocage, occupation de terre – est importante, principalement à la campagne. Cela parce que la réforme agraire est une politique qui peut constituer une proposition de dépassement de cette crise. Cette politique est importante, parce qu’elle est ne coûte pas beaucoup, parce qu’elle démocratise la richesse, la propriété privée et les moyens de production, qu’elle génère des emplois, produit des aliments, préserve l’environnement.

Ce sont toutes des questions essentielles et pour cela les occupations de terre sont importantes et doivent être mises à l’ordre du jour des débats nationaux.

Est-ce ainsi que le mouvement espère, dans la phase actuelle, convaincre la société de l’erreur que représente un tel modèle d’agronégoce?

Je pense que l’erreur s’est révélée d’elle-même, parce qu’il y a peu de temps encore, avant la crise, personne n’acceptait même de discuter du modèle actuel d’agronégoce et de la menace que celui-ci représente pour la vie dans les campagnes et pour la souveraineté alimentaire, ains que de sa logique d’exploitation et de concentration de terres et de richesses naturelles – l’eau, la terre, l’énergie, les minerais…

Ainsi, c’est la crise qui fait la preuve qu’un tel modèle de développement ne résout pas le problème des travailleurs et travailleuses. Et la mobilisation est une manière pour la classe de prendre conscience de la gravité de la crise dans laquelle nous nous trouvons et du fait qu’elle n’est pas cyclique, comme le disent certains analystes, mais bien structurelle, forte et profonde et qu’elle s’aggrave chaque jour.

La mobilisation est une façon d’inviter les gens à se mobiliser, à débattre et à lutter pour que le prix de la crise ne soit pas payé par les travailleurs. Son coût doit être couvert pas les entreprises qui s’approprient toutes les structures et biens en capitaux, et qui maintenant veulent s’approprier également nos vies.

Comment le MST fait-il face aux accusations d’utilisation illégale d’aides publiques, au travers de coopératives comme l’Association Nationale de Coopération Agricole (Anca), même pour le financement d’actes dits illicites ?

Le MST n’a jamais eu besoin de la moindre piécette provenant de ressources publiques pour se livrer à des occupations de terre et de latifundia improductifs. Le MST a déjà 25 ans. La société brésilienne peut prendre exemple sur le sérieux du mouvement quand il utilise l’occupation des terres improductives pour mobiliser et faire pression sur le gouvernement afin que celui-ci s’intéresse aux campements [de sans-terre] et qu’il avance dans les propositions de réforme agraire.

Ce que nous trouvons amusant, c’est que l’on mette le MST dans le même sac que ceux qui détournent des ressources publiques, alors que l’on ne dit rien de ce que les gouvernements ont fait en termes de destruction de l’Etat brésilien au travers des privatisations et des coupes effectuées dans les politiques publiques nécessaires à la société.

Quant à nous, nous continuerons à défendre l’idée selon laquelle le gouvernement a l’obligation de dégager des ressources publiques pour investir dans les domaines de l’éducation, de la santé et de l’agro-industrie, ainsi que pour renforcer les assentamentos [installation de paysans sur des terres ] et les communautés rurales de tout l’intérieur du pays.

Mais existe-t-il vraiment un transfert d’argent public depuis ces associations vers le MST, ce qui d’ailleurs consituterait, selon certains leaders et intellectuels du mouvement lui-même, un processus absolument légal ?

Il existe dans les instances du gouvernement fédéral des entités enregistrées officiellement  et en situation totalement légale. Elles sont habilitées à  recevoir de l’argent destiné à être investi dans ces régions, non seulement dans des assentamentos, mais dans tout autre type de projet également.

De telles entités exercent le rôle que devrait jouer l’Etat brésilien, celui d’investir dans l’éducation, la santé, la formation et secteurs desquels  l’agro-négoce s’est retiré, dans le seul but de soutenir les entreprises transnationales et de sauver leurs capitaux.

Comme je l’ai dit, à aucun moment le MST n’a utilisé d’aides publiques pour réaliser les occupations. Ce sont les assentamentos «officiels» de la réforme agraire qui utilisent ces ressources pour les investir dans l’agriculture, et ils ont besoin de ces ressources.

Que pensez-vous donc de la croisade menée contre votre mouvement par certains membres des hautes sphères du pouvoir, comme par le Ministère Public de l’Etat du Rio Grande do Sul récemment ou les déclarations de Gilmar Mendes [nommé au Tribunal Suprême du Brésil par Fernando Henrique Cardoso]?

Nous voyons que l’élite, la droite brésilienne est en train de faire une lecture de la crise dans laquelle nous nous trouvons. Ils sont préoccupés, ils ont peur et ils n’admettent pas la possibilité d’avoir des mouvements organisés dans ce pays, parce qu’ils savent que ces mouvements donnent le «mauvais exemple» à la classe ouvrière et que cette dernière pourrait en venir à se mobiliser pour réclamer ses droits.

Faisant une telle lecture, les élites anticipent le calendrier électoral de 2010, mettant en avant l’un de leurs représentants bien préparé à être interlocuteur et porte-parole officiel, Gilmar Mendes.

Et qu’en est-il des propos péjoratifs tenus par les médias eux-mêmes, comme par exemple la Folha de São Paulo qui, dans son éditorial du 11 mars 2009, accuse le mouvement de type délictueux ?

Suivant sa logique de lecture de la crise, l’élite met de son côté tout l’appareil de répression idéologique de l’Etat brésilien – les moyens de communication, la presse, une partie du pouvoir judiciaire, une partie du Ministère Public – afin de criminaliser les mouvements sociaux. La fermeture des centres de formation du MST dans l’Etat le Rio Grande do Sul en est la preuve.

Nous ne devons pas nous laisser intimider, mais au contraire continuer le processus de mobilisation, de lutte et d’occupation de terre, en ayant pour objectif de garantir la réalisation de la réforme agraire dans le pays.

La participation de la presse sert à stigmatiser le MST face à la société, mais le mouvement reçoit aussi la solidarité des travailleurs brésiliens et de la communauté internationale qui, nous l’espérons, continueront à nous défendre et à se défendre contre le modèle de développement que suit le pays.

Comment voyez-vous cette situation paradoxale dans laquelle tant les élites que les médias eux-mêmes accusent le gouvernement de pactiser avec votre mouvement et de le «couvrir», alors que l’on sait combien le MST est insatisfait de la politique agraire menée par le gouvernement Lula ?

Nous en revenons à la droite qui, en raison de la crise, veut anticiper le calendrier politique de 2010. De cette manière, ce que ces gens cherchent, c’est justement à stigmatiser et à démoraliser le mouvement, mettant contre lui toute la société. Mais nous continuerons à travailler dans l’optique que nous défendons.

Le mouvement entrevoit-il dans la crise des perspectives, ou bien possède-t-il des stratégies lui permettant de fortifier ses revendications et d’augmenter le soutien de l’opinion publique ?

Nous continuerons à nous mobiliser avec les travailleurs et travailleuses, tout en continuant à mener la lutte pour la réforme agraire.

Nous continuerons à être sur le front lors des journées de lutte, en dénonçant les aides publiques que l’Etat brésilien concède aux entreprises responsables de la crise, comme les fonds accordés par la BNDES [Banque Nationale Brésilienne pour le Développement Economique et Social] à la fabrique de carton Stora Enzo, à la fabrique de papier Veracel et à d’autres entreprises qui continuent de licencier.

Nous devons prendfre clairement position contre l’aide apportée aux entreprises qui promeuvent le travail esclave, dégradent l’environnement et dépendent de l’exportation, sans se préoccuper de la production d’aliments destinés au marché interne. Ce sont là tous les points que nous continuerons à avoir à notre «menu principal». (Traduction A l’Encontre).

* Valéria Nader, économiste, est éditrice du Correio da Cidadania ; Gabriel Brito est journaliste.

(23 mars 2009)

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