RDC. Quand Kabila regarde le pouvoir pour le garder, de facto

Par Colette Braeckman 

Le camp de Kabila a obtenu une large majorité à l’Assemblée (350 sièges sur 500), selon le gouvernement. La coalition de Fayulu aurait 80 sièges, et celle de Tshisekedi une cinquantaine. [Voir sur ce site les nombreux articles qui mettent en perspective les évolutions d’un (RDC) des deux pays les plus importants de ladite «Afrique noire»: la République démocratique du Congo et le Nigeria]. 

• Les résultats des élections législatives ne confirment pas ceux des présidentielles : alors que deux candidats présentés par l’opposition, Martin Fayulu et Félix Tshisekedi étaient arrivés en tête de la course à la présidence, devançant largement le successeur désigné du président Kabila, Emmanuel Shadary Ramazani, c’est le Front Commun pour le Congo, une vaste coalition rassemblée autour du parti présidentiel le PPRD [Parti du peuple pour la reconstruction et la démocratie] qui aurait la majorité à l’Assemblée nationale et revendiquerait donc le poste de Premier ministre.

• Une cohabitation donc, qui, de manière surprenante, satisfait et rassure une grande partie de l’opinion congolaise. Nombre de nos interlocuteurs, à part les partisans de Martin Fayulu qui dénoncent toujours une manipulation des bulletins de vote, assurent que «personne n’a tout gagné, personne n’a tout perdu…» Autrement dit, personne n’a perdu la face, la réconciliation est possible, le spectre de la guerre civile est écarté, pour le moment en tout cas.

Vote sanction

Lors du scrutin présidentiel, les électeurs, clairement, ont exprimé un vote sanction: ils souhaitaient le départ de Joseph Kabila, craignaient qu’il ne s’accroche malgré tout et redoutaient aussi le «passage en force» de son dauphin, ce qui aurait perpétué un système rejeté par la majorité de la population. Autrement dit, tous souhaitaient la victoire d’un membre de l’opposition, qu’il s’agisse de Martin Fayulu qui a capitalisé sur son éphémère réputation de «candidat unique de l’opposition» ou de Félix Tshisekedi.

• Ce dernier, il faut le rappeler, est relativement novice en politique mais il est appuyé par une formation politique bien implantée, l’UDPS [Union pour la démocratie et le progrès social], le plus ancien parti de l’opposition et il est auréolé du prestige de son défunt père dont la dépouille sera bientôt rapatriée… Même s’il est possible, comme le suggère la Conférence épiscopale, – sans livrer aucun chiffre –, que Fayulu ait totalisé plus de voix que son rival Tshisekedi, aux yeux de beaucoup de Congolais, l’important c’est que la transition soit pacifique et qu’un représentant de l’opposition accède à la magistrature suprême

Sur ce point, un Congo qui a financé lui-même l’exercice électoral et où une majorité de la population se réjouit de l’alternance représente un exemple pour bien des pays d’Afrique et nombreux sont ceux qui, même s’ils n’ont pas voté Tshisekedi, acceptent mal les jugements voire les injonctions d’un pays comme la France, bien moins sourcilleuse lorsqu’il s’agit d’Etats appartenant à son «pré carré.»

• Félix Tshisekedi se prépare donc à régner sur un pays qu’il connaît encore mal, mais pourra-t-il gouverner? Parmi ses amis politiques, les cadres bien formés ne manquent pas, et, à ses côtés, Vital Kamerhe, qui fut l’un des artisans de sa victoire est un homme politique brillant, expérimenté, quoique parfois considéré comme versatile (il contribua naguère à la victoire de Kabila…). Mais de toute manière, le nouveau président devra donner, très vite, un signal fort : celui du changement, il devra répondre aux exigences d’intégrité et de progrès social.

La présidence du Sénat

• Félix Tshisekedi ne sera cependant pas tout-puissant: les résultats indiquant qu’à l’Assemblée nationale, le parti de Kabila serait le plus important et qu’à la Chambre haute, il aurait la main sur l’élection du deuxième personnage de l’Etat, le président du Sénat. En cas de disparition du président élu, c’est le maître du Sénat [soit Kabila] qui sera, automatiquement, le successeur de ce dernier. Si Joseph Kabila, qui est déjà sénateur de droit, accède à la présidence du Sénat, il ne sera donc pas très éloigné du pouvoir qu’il vient de quitter, d’autant moins qu’il gardera la main sur les forces de défense et de sécurité!

Une telle cohabitation, où le président et le Premier ministre appartiendront à des partis différents, représenterait un phénomène relativement neuf en Afrique et totalement inédit au Congo, mais beaucoup considèrent que c’est le prix à payer pour la paix civile et l’unité du pays.

• Reste à souhaiter que l’ancien et le nouveau président, «unis par le sort» comme le proclame l’hymne national, veilleront tous deux à créer «un pays plus beau qu’avant», à défendre son indépendance et, surtout, à améliorer le sort d’une population dont le vote, calme, digne et résolu, a démontré la maturité et l’exigence de changement. (Titre de la rédaction A l’Encontre; Colette Braeckman est grande reporter du quotidien Le Soir; elle suit la situation en RDC depuis fort longtemps; elle tient un blog sur la page de ce quotidien, un blog qui mérite un suivi.)

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